Education Populaire Nouvelle

Transformations sociales et écologiques,
transformation individuelles
et éducation populaire

 

Texte: Paulo Freire - Source dessin : la Carta 200

Je propose de ne pas remplacer les questions sociales et écologiques (liée dans l’écologie sociale qui prend l’écologie par le social et la démocratie par la démocratie directe) par la seule poursuite du « bien », de la morale de l’éthique perso, les chartes de « savoir vivre » : c’est un tantinet élitiste car présupposant que les uns sont des sortes d’« élus » pour avoir le droit de prescrire aux autres la voie qu’ils « devraient » suivre !!

Tout autre est la participation de tous à la production des savoirs nécessaires à la transformation des rapports sociaux (démocraties économique, politique, culturelle) en liens avec de nouveaux rapports à la nature au temps des effondrements…

La mise en avant de la morale prescriptive d’élimination du négatif à l’intérieur de soi, comme en « positif » l’injonction de progresser en humanité (cf V) repose sur une vision plutôt conservatrice : le mal habiterait la nature humaine et s’inscrirait comme tache extensive dans le social.

Les « mutants » qui suivraient leurs maîtres en tout biens irradieraient une révolution éthique autour d’eux : la société par contagions en cercles concentriques deviendrait alors meilleure. C’est une croyance en la main invisible qui harmoniserait spontanément les rapports de classes, réconciliant les structures oppressives avec les dominés, un peu comme dans le catéchisme libéral où la main invisible du marché est censée concilier les oppositions entre individus égoïstes, les acheteurs comme les vendeurs, autour de prix acceptables par tous….

Réaliser en commun l’analyse concrète de la genèse des aliénations et des impasses actuelles et ce à la lumière de l’histoire réelle, avec celle des  conditions de possibilités de s’en affranchir ensemble, de nouer des rapports différents entre humains et avec la nature à partir de ce qui existe déjà, bref réinventer les possibles d’une convivialité retrouvée est un tout autre chemin d’émancipation morale, intellectuelle et sociale car c’est plutôt par sa participation aux procès collectifs de transformation que l’individu peut se changer…(cf « la liberté d’autrui étend la mienne à l’infini et non pas « ma liberté s’arrête où commence celle de l’autre », en fait où commence sa propriété !)

Dans la réalité, les dominants économiques possédant aussi les moyens de production culturels façonnent les consciences et les comportements.

La transformation personnelle est possible, mais par la conscientisation de la colonisation de nos consciences par les élites économiques et culturelles et par l’arrachement conscient au vieux monde en soi en tant qu’il freine l’action collective alternative  et fait reproduire les oppressions et les comportements prédateurs à l’égard de la nature et de la planète en toute inconscience ou mauvaise conscience sachant que les plus pauvres font avec ce qu’ils (n’) ont (pas).

Attention aux brouillages New âge et à l’élitisme sociologique des classes moyennes qui se baptisant « créatives culturelles »… qui souvent poursuivent plus leur bien être écologique et la protection de leurs situations derrière une écologie ou une décroissance exemplaire pour elles mais sans le peuple.

Les changements de comportements individuels n’ont d’effets que s’ils sont inscrits dans un rapport de force collectif, dans une lutte et mieux dans une action alternative de dépassement du système sans complaisance à l’égard des prédations et prédateurs.

Ne pas renoncer donc à identifier l’ennemi, le système économique du Capital prédateur (rente foncière immobilière, commerciale, industrielle, bancaire…) comme cause et facteur du mal. Si non il y a dilution et occultation des responsabilités. Et par voie de conséquence visée illusoire de l’autotransformation hors sol et quêtes d’une spiritualité transcendentale où les humains remettent leur destin entre les main d’un tout puissant : tout autre la spiritualisation de la nature et du grand tout des indiens et aborigènes…

Mais la spiritualité sans Dieu peut aussi appeler à l’accomplissement d’un idéal de bien vivre fraternel ici même. Car elle est aussi le cœur d’un monde sans cœur, l’esprit d’un monde marchand sans esprit, la protestation des plus accablés contre l’inhumanité du cancer qui ronge la planète…

Au final avec l’emploi intempestif du « nous » (nous avons détruit la planète, nous sommes des prédateurs (cf. R)) la victime finit par devenir victime… d’elle même !!! Elle finit par ne s’en prendre qu’à elle même. D’où une course interminable pour chasser le mal de soi pendant que le profit, les banques, les multinationales détruisent le monde et que la pub et les médias continuent de coloniser nos cerveaux.

Pour M. Tatcher ultra capitalistique « La société  n’existe pas. Il n’existe que des individus et des familles ! » Sous-entendu : n’importunez pas nos profits avec vos demandes de partage des richesses, de services publics gratuits… Débrouillez vous, soyez créatifs et inventifs. Sortez vous en avec ce que vous avez ou mieux encore avec ce que vous êtes ! Donnez vous un projet personnel (dans l’immense lutte des places… entre individus libres) (cf. les compétences et le couple individualisation-personnalisation dans le champ scolaire)

A quoi bon dès lors s’interroger sur les structures économiques cause d’exploitation, sur l’état, leur auxiliaire, cause de domination, sur  les systèmes de production symbolique (culture dominante mensteam, médias, pub, école, système électoraliste…), qui plient la machine en nous pour qu’on s’y plie cause de nos multiples consentements au système alias « les oppressions » ?

L’oppression ? c’est à dire l’enrôlement des individus dans les logiques de penser et de faire utiles à la pérennisation du système : aliénation, consumériste, sexisme, individualisme, fatalisme, racisme, dont la paresse intellectuelle (enlisement dans les évidences du Progrès) alias l’autolimitation de l’activité cognitive alias le refus de penser le monde contre les automatisme de pensée (cf à l’école les auto »MATHS »ismes F=mm’ sur d2) c’est à dire la conformation des individus aux besoin du système qui sait si bien nous distraire (traere tirer de).

source dessin : site Pour une autre éducation : http://www.autreeducation.sitew.com

Si les individus des classes opprimées se pensent naturellement et intrinsèquement mauvais, et donc perdent confiance en eux (là c’est ce que retiennent de l’école les « en échec scolaire », les plus pauvres) s’ils ignorent les savoirs des luttes et conquêtes collectives de leurs aînés, ils peuvent se laisser aller au désarroi et alors devenir des masses de manœuvre (cf. le vote des pauvres pour le roi des riches en France).

Ils peuvent aussi suivre les derniers Jésus qui passent ou autres Hommes providentiels, se conformer à l’image que les classes moyennes ont d’eux, voter pour elles tous les 5 ans sans rien changer à leur société, accepter qu’on leur désigne des boucs émissaires pour les détourner de leur saine colère initiale et de l’internationalisme de citoyens du monde « prolétaires de tous les pays désunissez vous ! «

C’est à cause de « leur » mal être dit-on ! Rappelons le lourdement : il naît de l’intériorisation inconsciente de leur place subalterne, de l’exploitation (dans le travail), de la domination d’état (politique ) et de l’oppression (dans les rapports humains hiérachiques ordinaires).
Non qu’elles soient inconscientes et ne pensent pas… Au contraire ! Mais si elles sentent et souvent comprennent elles ne possèdent pas toujours les savoirs de leur exploitation, de leur domination ou exclusion ou subalternéité.

Souvent les classes moyennes savent (mais 5% des français savent comment marche le crédit bancaire) ou croient savoir mais ni ne comprennent ni ne sentent ni n’ont d’intérêt vitaux à ce que ça change !
Pour que ça change il faut un rapport de force non violent de préférence éthique.

Par exemple via la démocratie directe territoriale qui est au fond une dictature des plus nombreux, les pauvres sur les riches, minoritaires, sans atteinte à leur personne mais un tantinet aux revenus excessifs (vous mettez la barre où ?)

– pour qu’une large partie des « sans », des pauvres ou faibles revenus, ou ouvriers, ou employés, ou chômeurs, ou Rmistes ou… quittent le « syndrome du larbin », que les puissants organisateurs symboliques du système (école, médias, pub, système électoral délégatif) ont réussi à installer en eux pour neutraliser leur charge  de révolte…
– pour qu’elles cessent d’accueillir en elles la culture du dominant,
– qu’elles cessent de s’auto-stigmatiser,
– qu’elles prennent confiance en elles en même temps qu’elles résistent au lieu de s’ identifier aux vies des riches ou se résignent dans un fatalisme de béton (cellulaire)
– qu’elles sachent nommer leur ennemi capitalistique alias les causes de leur oppression multiforme (inconscient social) et puissent dès lors s’attaquent au dépassement ou à la rupture ou à la sécession d’avec lui… ce qui demande un sacré travail intellectuel en prolongement de la révolte,
– qu’elles sachent monter elles mêmes (en alliance si besoin) des occasions de faires alternatifs suprêmement décisifs pour bifurquer en conscience.

Il y faut des actions collectives et la conscientisation de celles-ci (Piaget, Wygosty, P Freire…)

Car le rapport au savoir est socialement différencié. On apprend par le faire dans l’en bas, par le dire dans l’en haut sociétal…(Bourdieu). C’est donc par le faire autrement qu’on pense autrement et non parce qu’on pense autrement que l’on fait autrement (cf. théories de l’engagement).

D’où l’intérêt malgré ses limites évidentes des petits gestes quotidiens. Commencer à résister en pensée ça commence par faire autrement… même si les Hulotteries de robinetteries visent à nous détourner des grands destructeurs d’écosystème et des sociétés humaines… en diluant la responsabilité et occultant les causes principales.

Le peuple se portera d’autant plus à la sortie du système qu’il aura expérimenté qu’on peut s’en passer ! Cf. la guérilla potagère : quand la Cen (Fiche : fête des courges !) fait mettre en godet des graines aux enfants et parents pour qu’ils repiquent des plants sur les pelouses des HLM c’est bien pour faire découvrir que l’autonomie alimentaire est possible même en ville en retrouvant la terre nourricière… et la convivialité d’une dégustation des 100 recettes de courges le jour d’Hallowin. Cf. aussi les ateliers et démonstrations Cen de dispositifs de biogaz ou d’éco construction ou de panneaux solaires de récup’ lors de ses Rencontres d’été

Car l’autonomie intellectuelle se conquiert pas à pas non seulement par des gestes solitaires mais en participant à des groupes en se mettant en situations-chocs et rencontres destabilisantes afin que bougent les méninges et l’inertie…
Penser par soi-même est un long chemin de reconquête au quotidien, consubstantiel de l’engagement dans des procès d’émancipation collective. Penser par soi même suppose qu’on pense au préalable à plusieurs dans des intellectuels collectifs afin de devenir capable de penser seul (à l’école c’est à plusieurs qu’on apprend à faire tout seul, non ?)

Ainsi à Pont de Barret les Rencontres Cen (avec 85% de personnes sous la barre des 900 euros) ce sont eux qui ont fait la matinée du 17 juillet « quelle éduc pop ? » après en avoir discuté avec d’autres, après écriture de textes et panneaux et c’était des paroles fortes connectée à l’action pour l’alternative (comme la proposition d’occuper pour y faire vivre des alternatives les hectares de terres agricoles convoitées par la multinationale Décathlon à Valence)

Alors ? Education populaire pour ou avec le peuple ? Ecologie sans le peuple ou par le peuple ? Démocratie de marché ou démocratie directe de prise en main locale de la vie ?

En se battant aux côtés des classes dominées, l’éduc’ pop doit-elle refuser de créer des situation et mille occasions de stimuler le travail de la pensée (conscientisation) au prétexte que le savoir depuis l’école est vécu comme ce qui accompagne une situation de violence symbolique (domination) ?

Ou faut-il reprendre les chemins des banlieues et des rues, y créer des situations multiples et variées impliquant des lectures et les écritures (par exemple pour faire pousser des buissons de fruits rouges sur les parkings avec des articles dans des médias alternatifs ?) Stoppons les conférences pour les enquêtes actions et tables rondes co-élaboratives, démonstration et débats, etc etc bref éducation populaire « nouvelle » ? L’émancipation individuelle morale et cognitive qui en résulte contribue en retour à l’émancipation collective mais pas d’émancipation sans retrouver la nature que nous a ravagé le système…

André DUNY : Note pour la Rencontre Cen 10 sept 2011 « Convergences »