La CEN adhère à cette déclaration
Le monde est entré dans une période inédite de crises multiples, profondes et durables. A la fois causes et conséquences, l’apathie et le repli sur soi se répandent. Les idéologies les plus délirantes et meurtrières se développent tandis que les oligarchies mondiales confisquent le pouvoir pour leurs propres intérêts.
Pourtant, des mouvements récents ont montré qu’une frange importante des populations mondiales refusaient cette course à l’abîme et affirmaient pratiquement les valeurs d’autonomie, de liberté et de solidarité.
Nous affirmons qu’il n’existe nulle part de solutions toutes faites qu’il suffirait d’appliquer. Au contraire, il nous semble que nous ne pourrons nous confronter aux problèmes réels qu’en instaurant des assemblées où chacun puisse s’informer, délibérer librement et participer pleinement à des décisions viables et acceptées par tous.
Ce régime de démocratie directe n’est pas une utopie, même si sa forme reste largement à inventer.
Il nous paraît pouvoir être instauré partout où existe la volonté de reprendre le flambeau historique de l’émancipation humaine.
Nous partons de trois postulats :
1. Ce sont les hommes et les femmes qui font l’histoire
Il n’existe aucune loi métaphysique, biologique, sociologique, économique ou culturelle qui déterminerait inexorablement la marche de l’humanité. Nous rejetons particulièrement deux conceptions :
-
celle, religieuse, qui voudrait que les hommes soient soumis aux lois d’un dieu.
-
et celle qui professe que le progrès est inéluctable, qu’il est inscrit dans les « lois économiques ».
Cette conception de l’histoire est propre au capitalisme, mais on la retrouve aussi au fondement de nombreux courants historiques qui travaillent à l’émancipation.
Le progrès social ou technique, la catastrophe écologique ou culturelle, la société de consommation ou l’État providence ne sont pas des phénomènes naturels : ce sont des créations humaines.
Les principes qui fondent les sociétés, leurs valeurs, leur organisation, le sens qu’on leur donne dépendent des gens qui les constituent, de leur désirs et de leurs projets.
2. L’émancipation est une possibilité universelle de l’espèce humaine.
Il est possible de briser les aliénations individuelles et collectives qui nous enferment dans des carcans religieux, ethniques, mythiques ou sociaux, familiaux ou psychologiques.
Tous les individus comme toutes les sociétés sont capables de s’auto-transformer pour se concevoir comme la source de leurs croyances, de leurs valeurs et de leur fonctionnement.
S’émanciper n’est pas rompre toute attache : c’est instaurer une distance critique permanente permettant la réinvention de nouveaux rapports avec la tradition, les autres cultures ou l’obsession de l’accumulation et de la domination.
3. La politique n’est pas un domaine réservé à des spécialistes.
Il n’existe nulle part de sciences ou de techniques qui légitimeraient que leur détenteurs se substituent à la décision collective.
L’essence de la politique est l’auto-organisation des gens : elle ne peut dépendre, en dernière instance, que d’eux-mêmes. Il n’y a donc que des opinions diverses, qui doivent être confrontées et faire l’objet de délibération. Toute hiérarchie, y compris représentative, est la négation du fait que chacun peut et doit élaborer, assumer et examiner librement ses positions concernant sa vie privée aussi bien que les affaires communes.
Nous posons trois principes :
1. La démocratie directe est un réseau d’assemblées générales.
Pour nous, l’essence du pouvoir du peuple, par le peuple et pour le peuple est ce peuple assemblé, formant des instances souveraines de pouvoir. Ces assemblées ouvertes dans la cité, au travail comme partout, sont alors le lieu de la délibération et de la décision, que nul ne peut aliéner.
Chacune peut par contre déléguer des charges à des groupes plus petits ou au contraire à des instances plus larges, comme des fédérations ou des confédérations d’assemblées, suivant que certaines questions relèvent de l’échelon local ou au contraire de domaines ou de territoires plus étendus.
2. Des moyens existent pour contrôler le pouvoir.
Refuser, comme nous le faisons, le système représentatif veut dire que la formation de délégués, lorsqu’elle est nécessaire, doit obéir à certaines règles simples.
-
La première concerne leur désignation : le tirage au sort est souvent la meilleure arme pour éviter toute démagogie et impliquer la totalité du corps social dans la gestion de ses propres affaires.
-
La deuxième concerne l’amateurisme des mandatés : il ne peut y avoir de professionnel de la politique, même si le mandaté peut être indemnisé pour le temps passé à s’acquitter de son mandat.
-
La troisième concerne la rotation des tâche : il ne peut y avoir de cumul de mandat, ni reconduction à un même poste, ni spécialisation systématique.
-
La quatrième concerne la nature du mandat : il doit être le plus précis possible, limité dans le temps et révocable.
-
La dernière, évidemment, est la vigilance et la rigueur de tout-un-chacun, l’analyse permanente des phénomènes de groupes et des rapports de force : le pouvoir ne se prend pas, il se vole.
3. Une multitude de dispositifs démocratiques.
Les assemblées ne peuvent être les seules dépositaires du pouvoir, même si elles ont tendance à s’équilibrer mutuellement.
Il peut y avoir un conseil, désigné par chacune d’elle, qui assure la continuité du travail, l’application des décision, et peut s’opposer à une assemblée impulsive.
Il peut y avoir des tribunaux politiques, composés de citoyens tirés au sort
contrôlant les mandats et prononçant des sanctions lorsque les mandats ou les
décisions de l’assemblée ne sont pas respectés. A cette division des pouvoirs répond également une diversité dans les modes de fonctionnement des ensembles politiques,afin que les expérimentations de quelques-uns puissent bénéficier à tous.
Mais tout cela ne peut avoir d’efficacité sans une culture politique proprement dite, c’est-à-dire un peuple qui s’auto-éduque patiemment à se rendre maître de son destin collectif.
Nous proposons trois chantier de travail :
1. Maintenir ouvert un chantier « théorique ».
Nous voulons déceler dans toutes les expériences historiques des exemples, toujours partiels, à faire valoir et à faire connaître, de la Grèce antique aux cités médiévales, jusqu’aux mouvements ouvriers et aux expériences contemporaines aux quatre coins du globe.
Il faudrait également travailler aux transitions possibles qui pourraient transformer radicalement nos régimes oligarchiques en sociétés démocratiques, en tenant compte des bouleversements actuels et à venir.
Enfin, il y a à discuter les tenants et les aboutissants d’un tel projet,
les prises de positions immédiates à adopter,
les tactiques à élaborer comme les questions abyssales que nous soulevons.
Progresser au plan théorique permettrait en outre de montrer l’incompatibilité fondamentale entre la démocratie directe et toute une série de vieilles lunes qui multiplient les confusions : ésotérisme, conspirationnisme, sectes, extrême droite, pratiques managériales…
De nombreuses équivoques subsistent, qui doivent être levées.
2. Élaborer une boîte à outils.
Lorsque surgit un mouvement politique ou social porteur en puissance d’un tel projet, les pratiques d’assemblées démocratiques sont bien souvent spontanément réinventées.
Mais un saut qualitatif et quantitatif ne pourra se faire sans un souci permanent de cumulation des expériences : il est possible, de diverses manières, de rendre disponibles aux yeux du plus grand nombre des idées et des dispositifs permettant à ces pratiques de s’affiner, de se pérenniser et de s’étendre, contre les erreurs,les dérives, les manipulations et les noyautages.
3. S’engager partout où peuvent surgir des assemblées démocratiques.
Notre époque bascule dans des troubles durables et profonds d’où pourraient naître de nouveaux espaces politiques, libérés des groupuscules et des partis.Déjà, des assemblées revendiquant une réelle démocratie éclosent : notre place est en leur sein, où nous ne pouvons que nous impliquer pleinement pour leur maintien,leur extension et leur mise en rapport.