par Selma Franssen
15 décembre 2013
WikiLeaks, la plateforme des lanceurs d’alerte, a dévoilé récemment une série de documents qui révèlent à quel point les compagnies pétrolières se sentent acculées par les activistes. Les experts pensent que l’opposition aux projets dangereux pour l’environnement, notamment l’exploitation des sables bitumeux, pourrait à terme devenir la plus grande campagne pour l’environnement de tous les temps. Ces révélations éclairent les méthodes mises des multinationales pour appréhender la résistance (subdivisée en catégories allant de « réaliste » à « radicale »).
Alors que durant plusieurs décennies, les entreprises pétrolières et gazières ont pu jouir d’une certaine liberté de mouvement, elles doivent depuis quelques années faire face à une contestation toujours plus importante. Les multinationales impliquées dans le très controversé oléoduc Keystone-XL s’estiment d’ailleurs à ce point menacées par les activistes qu’elles encouragent leurs départements de relations publiques et de conseil à s’armer contre la critique.
La plus vaste campagne de défense de l’environnement jamais connue
Rendu public par WikiLeaks, le document « Oil Sands Market Campaigns » de la société Strategic Forecasting est une présentation destinée à avertir les grands groupes pétroliers qu’en cas de contre-offensive tardive, l’hostilité à l’égard des activités du secteur pourrait se cristalliser dans la plus remarquable campagne pour l’environnement à laquelle ces grands groupes furent jamais confrontés.
Bien qu’elle nie avoir sollicité les services de Strategic Forecasting, la société canadienne Suncor semble bien être le destinataire de cette présentation. WikiLeaks possède d’ailleurs quelques courriels dans lesquels des collaborateurs de Strategic Forecasting évoquent le payement par Suncor d’un montant de $ 14.890 pour deux projets achevés.
Radicaux, idéalistes, réalistes et opportunistes
Strategic Forecasting classe les opposants des compagnies pétrolières en différentes catégories (radicaux, idéalistes, réalistes et opportunistes) avant d’expliquer comment appréhender chacune de ces d’entre elles. Parmi les radicaux, on retrouvera des organisations militantes populaires telles que Rising Tide North America, Oil Change International et Indigenous Environmental Network. Greenpeace et Rainforest Action Network sont perçues comme deux entités hybrides, mi-radicales, mi-idéalistes.Sierra Club – le plus grand groupe environnemental américain, Amnesty International et Communities for a Better Environment demeurent des « idéalistes » ; et les différentes structures plus conventionnelles telles que le World Wildlife Funds, Natural Resources Defense Council et Ceres (une association du secteur non-marchand qui rassemble des entreprises, des investisseurs et des groupes d’intérêt publics) se rangent dans la classe des réalistes.
« En somme, ce que les activistes exigent, c’est une régularisation »
Selon Strategic Forecasting, bien que les activistes demandent l’arrêt des projets dangereux pour l’environnement, il apparaît que leur « exigence avérée » est l’application d’un code déontologique au secteur pétrolier. C’est pourquoi, la firme conseille aux compagnies concernées de poursuivre leurs activités tout en veillant à se fabriquer une image plus éthique destinée à atténuer la contestation.
Elle préconise en outre de limiter les contacts avec les organisations de défense de l’environnement, de reporter sciemment les négociations, et d’établir des programmes environnementaux propres visant à éclipser les exigences des activistes. Il s’agit ni plus ni moins de museler l’opposition le plus longtemps possible, en tout cas tant que son influence politique est limitée.
Les compagnies pétrolières s’arment de longue date contre les activistes
Les révélations de WikiLeaks confirment l’ampleur toujours croissante des moyens mis en œuvre pour faire pression sur l’opinion publique afin de pouvoir poursuivre ses projets.
Les travaux tels que le « fracking » et la pose d’oléoducs amènent les entreprises pétrolières toujours plus près des communautés locales – parfois jusqu’à littéralement envahir les jardins privés ! Les citoyens inquiets rejoignent alors les rangs des activistes et donnent davantage de poids aux campagnes de protestation.
Une machine RP bien huilée, un outil essentiel pour une technologie contestée
En Roumanie, la société Chevron a demandé et obtenu l’aide de la police antiémeute pour investir ce mois-ci un camp de résistance pacifique. Activistes et riverains ont été dégagés manu militari pour permettre à Chevron de s’installer et de démarrer les travaux d’extraction du gaz de schiste.
Dans le documentaire Gasland II traitant de l’extraction du gaz de schiste aux Etats-Unis, on apprend que des formations RP pour apprendre à appréhender les citoyens réfractaires et en colère, aux livres mettant en scène le « Gentil Frackosaure » et distribués aux enfants des écoles locales, l’industrie du gaz ne lésine pas sur les moyens pour tenter de manipuler le public.
Craignant de voir la population locale s’opposer au fracking, Chevron aurait lancé en Pologne la campagne « We Agree », une énième manœuvre pour acheter l’opinion publique selon les activistes du groupe « Occupy Chevron » : « Chevron fournit des ordinateurs aux écoles locales, aménage des voies piétonnières et a même été jusqu’à faire reconstruire la maison d’un particulier qui se plaignait des dégâts causés par les vibrations des camions. Si ça, ce n’est pas de la corruption… »
Activistes : nos campagnes font de l’effet
Depuis qu’est la parution du document Strategic Forecasting, les mouvements de désobéissance civile et de protestation contre les sables bitumeux ont exercé une telle pression que le président Obama s’est vu contraint de postposer un arrêté portant sur le projet Keystone XL, du nom de cet oléoduc qui devrait assurer le transport du pétrole extrait des sables bitumeux canadiens vers les raffineries du Golfe du Mexique. D’autres actions de protestation ont également retardé l’aménagement d’autres oléoducs canadiens.
Les campagnes de marketing élaborées par les compagnies pétrolières encouragent les activistes à poursuivre leurs actions. Scott Parkin, membre du Rainforest Action Network et de Rising Tide North America, déclarait à Inside Climate News : « Le fait que des sociétés telles que Strategic Forecasting nous étudient et nous ciblent est révélateur de l’influence de nos structures.Il va de soi que de tels documents n’étaient pas destinés à des non-initiés, mais nous ne nous laisserons pas intimider. Au contraire, cela nous encourage à exercer une pression encore plus forte. »
Traduit par Olivier Porignaux