Éducation populaire : les raisons d’un décrochage

PAROLE CITOYENNE

Éducation populaire : les raisons d’un décrochage

22/04/2015 | par Stéphane Menu | Toute l’actualité

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Au sortir de la guerre, l’éducation populaire savait encore interroger les cadres collectifs de notre société et donc mettre en cause, entre autres, les acteurs publics. Pour cela, elle a longtemps joué un rôle majeur dans l’émergence d’une parole citoyenne. Mais elle est aujourd’hui un brin chloroformée. Et si la décentralisation avait dévitalisé cette énergie contestataire ? Et si elle restait essentielle pour éviter les dérives communautaristes et les ghettoïsations sociales et physiques ?
C’est un perpétuel mouvement de balancier et rien ne changera : à la suite d’émeutes urbaines (2005, 2009 à Villiers-le-Bel, etc.), ou des attentats de Charlie Hebdo ou à l’Hyper Casher, les élus redécouvrent l’importance de la cohésion sociale et multiplient les demandes d’audits et de diagnostics pour identifier l’endroit où le bât a réellement blessé. Puis, au cœur de cette société émotionnelle où les drames en chassent d’autres à une vitesse folle, le soufflé des bonnes intentions politiques retombe vite. Au lendemain des attentats, les banlieues populaires en avaient gros sur le cœur.

À tel point que les maires de l’association Ville et Banlieue ont rédigé un communiqué commun pointant la situation de ces quartiers, « révélateurs et théâtres de nos fractures, de nos impuissances, contradictions et faiblesses […], pris entre intégration et désintégration ». En conclusion, ils préconisaient de « réintroduire l’éducation populaire qui permet l’émancipation des individus ».

Dans la foulée, les acteurs associatifs avaient même eu l’immense honneur d’être reçus par le président de la République, lui-même soucieux de redonner toute sa vigueur à une éducation populaire qui aurait disparu des radars républicains.

« Sans les acteurs de l’éducation populaire, combien de quartiers auraient explosé ? »

Les associations n’ont cependant pas le sentiment d’avoir délaissé le terrain. Elles font tout simplement avec les moyens du bord. « Les associations d’éducation populaire sont toujours dans les quartiers », assure Irène Péquerul, présidente du Cnajep (Conseil national des associations de jeunesse et d’éducation populaire). « Nous nous sommes entendu dire que nous n’étions pas assez visibles et identifiables dans les quartiers populaires. C’est un mauvais procès », assure-t-elle.

Nous nous sommes entendu dire que les associations d’éducation populaire n’étaient pas assez visibles et identifiables dans les quartiers populaires. C’est un mauvais procès.

À n’être que dans des réponses d’urgence, les pouvoirs publics auront du mal à poser un cadre durable face à la dislocation de la cohésion sociale. Partout en France, des initiatives fleurissent, comme à Bègles où l’association Remue-Méninges, outre le soutien scolaire à deux cents enfants, a initié une université populaire avec les parents autour du thème de la parentalité. « Nous avons le devoir de continuer à soutenir les acteurs de l’éducation populaire, assure Isabelle Foret-Pougnet, adjointe au développement social et urbain. Sans eux, combien de quartiers auraient explosé ? ».

Trop d’autocensure ?

Peut-on pour autant se satisfaire de cette situation ? Non, ose reconnaître Irène Péquerul, insistant sur le fait que les relations avaient évolué au cours du xxe siècle entre les pouvoirs publics et l’éducation populaire  : « Au sortir de l’après-guerre, l’éducation populaire avait un rôle moteur dans la reconstruction de cadres collectifs, de politiques sociales, culturelles et éducatives innovantes. Aujourd’hui, une partie des collectivités attendent de l’éducation populaire qu’elle serve une prestation de qualité et la moins chère possible dans une logique de mobilisation et de transformation sociale ».

Serait-on donc passé d’une éducation populaire « organisatrice d’un débat sur l’avenir de notre société » à une éducation populaire « organisatrice de séjours de vacances pour gamins un brin turbulents » ? Est-ce à dire que la décentralisation, et ce lien de proximité entre élus et acteurs, ont joué un rôle négatif ?

Est-ce à dire que la décentralisation, et ce lien de proximité entre élus et acteurs, ont joué un rôle négatif ?

Sans aller jusque-là, élus et responsables associatifs n’ont jamais su résoudre cette quadrature du cercle : comment accepter un financement, même public, venant d’une collectivité dont on ne peut critiquer implicitement l’action publique ? L’éducation populaire, dont l’essence même consiste à interroger la marche sociétale, est-elle morte d’une overdose d’autocensure ? Beaucoup de responsables associatifs assurent être instrumentalisés, même de façon biaisée.

Adultes-relais : des vigies…

De nombreux outils de concertation existent pour faire émerger la parole des habitants – processus absolument indispensable –, à travers la participation citoyenne. Encore faut-il que ce processus soit légitimé, organisé d’en bas… Dans de nombreuses concertations, les dés sont jetés à l’avance.

Fatima Mostefaoui, adulte-relais au centre social de Malpassé, à Marseille, a été recrutée pour mettre en place le dispositif expérimental « Tables de quartier » (1). « Ce dispositif a été pensé pour associer les habitants à la construction du contrat de ville. Toute notre crédibilité, dans le cadre de cette médiation, passe par la remontée d’une parole qui sera entendue. Sinon, les gens ne nous font plus confiance », assure-t-elle.

Le gouvernement a donné mission aux préfets de faire en sorte que les 4 200 adultes-relais répartis sur le territoire national fassent remonter la parole des habitants des quartiers difficiles.

Toujours après les événements dramatiques de janvier, le gouvernement a donné mission aux préfets de faire en sorte que les 4 200 adultes-relais répartis sur le territoire national fassent remonter la parole des habitants des quartiers difficiles. Ont-ils les moyens d’être crédibles avec des solutions de droit commun face à des populations de plus en plus décrochées ?

Jean-Pierre Goulard, directeur de la cohésion sociale à la mairie d’Oyonnax (Ain, 23 000 habitants), estime que le rôle des adultes-relais est essentiel. « Nous avons sept adultes-relais sur le terrain. Ils sont issus du tissu associatif, connaissent les gens, les jeunes, les vieux. Ils sont reconnus, valorisés par leur cheminement social. On nous parle de plus en plus du risque de radicalisation islamiste. Ces adultes-relais doivent être mieux formés pour le repérer ». N’y a-t-il pas un risque de confusion entre un travail préventif et son prolongement répressif ? « Non. Quand un gamin « vrille », avec des petits délictuels, nous le signalons dans le cadre des comités intercommunaux de prévention de la délinquance et de la sécurité, où siègent des représentants de la police. Face à la radicalité islamiste, nous aurons à adopter le même comportement ».

Comment utiliser une parole citoyenne ?

Pour Damien Bertrand, directeur de Profession Banlieue, « la réussite de la participation citoyenne passe par un portage politique fort. Parce que la question que les élus se posent est de savoir comment utiliser une parole citoyenne qui, forcément, les bouscule, les remet en cause et parfois de façon injuste », assure-t-il. Sur un projet urbanistique, les acteurs de la concertation ont-ils intérêt à « techniciser » le débat en faisant intervenir urbanistes et autres architectes ? Le décalage entre la connaissance parcellaire de la population, directement concernée, et le langage quelque peu techno et donc inadapté des « sachants » ne brouille-t-il pas la communication ?

Il serait tentant de renverser les tables et de laisser entendre que l’éducation populaire est morte parce qu’elle a perdu son essence originelle. Il faut sans doute qu’élus et acteurs associatifs jettent les bases d’une charte de la transparence où l’action de terrain n’aurait qu’un seul objectif : saisir les attentes d’une population qui se sent reléguée… Utopique ?

 

Note

(01)Dispositif venu du Québec et consistant à réunir le tissu associatif et les habitants régulièrement pour construire avec eux des projets de proximité. – Retourner au texte
Stéphane Menu

Journaliste

 

Gérard LHOMME  le 25/04/2015 – 21:39

L’éducation populaire a longtemps été un véritable ascenseur social et par cela un très grand facteur d’intégration sociale. Elle a été laminée par les pouvoirs politiques à tous les étages et depuis plusieurs décennies au nom d’économies budgétaires. Mais en réalité dans le cadre d’une véritable lutte idéologique qui mets au centre de la société l’individu dans ses ressorts les plus contestables: réussite individuelle, gagneur, (en écrasant tous les autres) au lieu de partage, fraternité, progresser ensemble… et a laissé le champ libre à l’économie de marché (il ne faut pas dire capitaliste, c’est « un gros mot »)/ Les centres de vacances et de loisirs sont devenus des centres d’occupation et de consommation de loisirs pour les plus pauvres (renforçant au passage les frustrations), les universités populaires des exceptions, et surtout la formation des jeunes adultes pour encadrer les activités abandonnée (parce que très « coûteuse » et très complexe). Les étudiants qui formaient les bataillons d’animateurs sont aujourd’hui sollicités par de très nombreux emplois précaires de caissiers de supermarchés, de livreurs de pizza… qui ne jouent aucun rôle en terme d’éducation et d’échange inter-générationnel. Oui il faut reconstruire une Education Populaire sans doute sur de nouvelles bases mais sans concessions idéologiques à la marchandisation et la financiarisation qui nous envahissent, nous avilissent et nous infantilisent.