L’écologie sociale un projet développé par Murray Bookchin, de « démocratie communale directe qui s’étendra graduellement sous des formes confédérales (7) ». Les militants sont invités à travailler à une « reconstruction radicale » des institutions locales par le bas, à créer des assemblées citoyennes, des « formes de liberté » assez fortes pour supprimer le capitalisme et assez légitimes pour empêcher toute forme de tyrannie…
Le Municipalisme libertaire : la politique de l’écologie sociale
Janet Biehl, Écosociété, 1998.
Qu’est-ce que l’écologie sociale ?
Atelier de création libertaire, Lyon, 2012.
Un résumé
(par Christian Sunt)
Communes et fédéralisme : les outils de l’écologie sociale
Basée en partie sur les écrits de Murray Bookchin, anarchiste et
écologiste étasunien, l’écologie sociale propose des analyses et donne
des perspectives pour une sortie du capitalisme ancrée dans des
territoires locaux.
Proche de nous, la volonté de faire « commune » qui se manifeste à
Notre-Dame-des-Landes et les multiples appels populaires à une
démocratie directe, à redevenir acteurs de nos vies, montrent que ces
désirs éclosent en de multiples lieux. La nécessité de se fédérer, les
initiatives d’organisation locale soucieuses de la participation de
touTEs ainsi que de la relation à l’environnement émergent alors comme
une possibilité souhaitable face à la répression capitaliste portée par
l’État et l’économie.
Suite aux rencontres internationales de l’écologie sociale qui ont eu
lieu à Lyon en mai dernier, nous proposons de poursuivre les discussions
autour de ces questions. Au lieu d’une théorie qui serait applicable
telle quelle, l’écologie sociale se présente plutôt comme un ensemble
d’outils appropriables pour élaborer collectivement des perspectives
d’émancipation concrète.
Un POSTERITE VIVANTE au ROJAVA
À la mort de Murray Bookchin, en 2006, le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) a promis de fonder la première société qui établirait un confédéralisme démocratique inspiré des réflexions du théoricien de l’écologie sociale et du municipalisme libertaire. Une reconnaissance tardive pour ce militant américain auteur d’un projet égalitaire et humaniste.
Le 6 janvier 2014, les cantons du Rojava, dans le Kurdistan syrien, se sont fédérés en communes autonomes. Ils ont adopté un contrat social qui établit une démocratie directe et une gestion égalitaire des ressources sur la base d’assemblées populaires.
C’est en lisant l’œuvre prolifique de Murray Bookchin et en échangeant avec lui depuis sa geôle turque, où il purge une peine d’emprisonnement à vie, que le chef historique du mouvement kurde, M. Abdullah Öcalan, a fait prendre au Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) un virage majeur pour dépasser le marxisme-léninisme des premiers temps.
Le projet internationaliste adopté par le PKK en 2005, puis par son homologue syrien, le Parti de l’union démocratique (PYD), vise à rassembler les peuples du Proche-Orient dans une confédération de communes démocratique, multiculturelle et écologiste.
Né en 1921 à New York de parents juifs russes révolutionnaires, Bookchin grandit dans le Bronx, alors chaudron des luttes ouvrières américaines. Engagé très jeune dans les rangs communistes, qu’il quitte en 1936, au moment de la guerre d’Espagne, il milite à la fois au Congrès des organisations industrielles (CIO) et au Congrès pour l’égalité raciale (CORE). D’abord ouvrier de l’industrie automobile (notamment au moment de la grande grève de General Motors, en 1945), cet auto-didacte enseigne ensuite la sociologie au Ramapo College, dans le New Jersey. À sa mort, le 30 juillet 2006, il laisse une vingtaine de livres et plusieurs centaines d’articles.
Dans le Vermont de Bernie Sanders en 1971
Écologiste radical et visionnaire, il avance l’idée selon laquelle l’irrationalité du capitalisme et sa faiblesse fatale ne résideraient pas, comme l’affirmait Karl Marx, dans sa propension inéluctable à l’autodestruction, mais dans son conflit avec l’environnement naturel, sa logique de croissance destructrice à la fois de la nature et de la santé humaine. En 1964, son pamphlet « Écologie et pensée révolutionnaire » fixe l’idée fondatrice de l’écologie sociale : « L’obligation faite à l’homme de dominer la nature découle directement de la domination de l’homme sur l’homme (1) » — celle-ci incluant la domination de genre, d’ethnie, de race aussi bien que de classe. D’où une proposition qui a valeur de programme : seule l’écologie sociale radicale peut entraîner le dépassement du capitalisme (2). Et, réciproquement, une révolution sociale apparaît à Bookchin comme la clé du changement écologique. Dès 1965, il s’inquiète du risque de réchauffement climatique et de ses conséquences sur les équilibres naturels et sociaux.
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Dans ce bouillonnement d’expériences, Bookchin élabore un programme politique pour l’écologie sociale : le municipalisme libertaire (6), un projet de « démocratie communale directe qui s’étendra graduellement sous des formes confédérales (7) ». Les militants sont invités à travailler à une « reconstruction radicale » des institutions locales par le bas, à créer des assemblées citoyennes, des « formes de liberté » assez fortes pour supprimer le capitalisme et assez légitimes pour empêcher toute forme de tyrannie. Ils ont également vocation à se porter candidats aux élections locales, à municipaliser l’économie et à se confédérer avec d’autres communautés afin de former un pouvoir alternatif pour « contrer la centralisation du pouvoir de l’État-nation ». À partir de 1977, Bookchin joue un rôle prépondérant dans l’organisation du mouvement antinucléaire Clamshell Alliance et met sur pied avec son fondateur, M. Howie Hawkins, un réseau de la gauche écologiste, le Left Green Network.
Les anarchistes, pensait Bookchin, sont enclins à accepter sans grande difficulté le municipalisme libertaire, fédération de communes autonomes dans la tradition de Pierre Joseph Proudhon, Mikhaïl Bakounine, Pierre Kropotkine ou Nestor Makhno. En 1984, il est invité à la rencontre internationale « Ciao anarchici », à Venise. Janet Biehl, qui a été sa compagne pendant vingt ans et lui a consacré une biographie, raconte comment il est monté à la tribune habillé d’un uniforme de travail vert, une rangée de crayons de mécanicien dans sa poche de chemise : « Il leur a dit : « Les mouvements féministes, écologistes et communalistes doivent créer des communautés humaines décentralisées adaptées à leurs écosystèmes. Ils doivent démocratiser les villages et les villes, les confédérer, et créer un contre-pouvoir face à l’État. » »
La rencontre se révèle catastrophique. On lui objecte que les gouvernements municipaux ne sont que des États-nations en miniature ; les conseils de citoyens, de petits Parlements. Les participants rejettent le principe du vote à la majorité, associé à une tyrannie du plus grand nombre. Bookchin en conclut que l’anarchisme est incompatible avec le socialisme. En plaidant pour la souveraineté de la personne, et non du peuple, les anarchistes de son époque se complaisent à ses yeux dans une simple radicalité « de style de vie » (8). Il décide de se retirer de la politique.
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(1) Murray Bookchin, Au-delà de la rareté, Écosociété, Montréal, 2016. On peut retrouver de nombreux textes traduits en français sur www.ecologiesociale.ch
(2) Murray Bookchin, Qu’est-ce que l’écologie sociale ?, Atelier de création libertaire, Lyon, 2012.
(6) Janet Biehl, Le Municipalisme libertaire : la politique de l’écologie sociale, Écosociété, 1998.
(7) Murray Bookchin, From Urbanization to Cities : Towards a New Politics of Citizenship, Cassell, Londres, 1995.
(8) Murray Bookchin, Social Anarchism or Lifestyle Anarchism : An Unbridgeable Chasm, AK Press, San Francisco et Edimbourg, 1995.