1% ont plus que 99% et 8 milliardaires plus que la moitié des habitants de la planète

Huit milliardaires égalent 3 milliards d’humains

L’ennui c’est que « ces « maîtres du monde » semblent décidés à défendre un système qui a tourné à leur seul profit ».

Notre commentaire à la fin

Chaque année, le rapport d’Oxfam dresse un constat toujours plus accablant sur l’accumulation sans précédent des richesses entre quelques mains : la fortune de huit milliardaires correspond aujourd’hui à celle de la moitié des habitants de la planète. « Il est temps de mettre l’économie au service des 99 % », dit l’ONG.

Ils sont huit.

Et à eux seuls, ces huit milliardaires cumulent une fortune de 426 milliards de dollars, l’équivalent des richesses détenues par la moitié la plus pauvre des habitants de la planète. Chaque année,  le rapport de l’ONG Oxfam sur les inégalités, publié au moment du sommet de Davos, est accablant.

Mais celui de 2017 l’est encore plus que les autres.  « Au-delà du grotesque », dit Oxfam. Au-delà du  supportable.

Quel système économique peut justifier  une telle concentration de richesses entre si peu de mains ? Qui peut prétendre que 8 riches égalent 3, 6 milliards de personnes ?

« Il ne peut y avoir de stabilité dans un monde où 1 % de l’humanité détient autant de richesses que le reste de la population », avertissait le président Barack Obama, dans son discours devant l’assemblée générale de l’ONU, en septembre 2016.
Avant lui, des dizaines d’économistes ont tiré le signal d’alarme depuis des années sur les dangers contenus par l’accroissement des inégalités dans le monde.

Depuis le Brexit et la victoire de Donald Trump, même les experts les plus classiques en sont venus à admettre que l’accentuation des inégalités alimentait le malaise des classes moyennes et représentait un risque pour la démocratie et l’économie.

Pour les participants au sommet de Davos, les inégalités constituent un des plus grands périls de 2017. Et pourtant, la machine à exclure et à appauvrir d’un côté, à organiser la captation des richesses de l’autre, n’a jamais fonctionné à aussi haut régime.

L’an dernier, il fallait encore additionner les richesses des 62 personnes les plus riches pour parvenir à l’équivalent du patrimoine de la moitié de l’humanité.

Oxfam a affiné ses calculs, en s’appuyant sur l’étude sur les grandes fortunes et les patrimoines réalisée par le Crédit Suisse.

L’ONG s’est rendu compte qu’une partie de la population de la Chine et de l’Inde était beaucoup plus pauvre que ce qui était affirmé auparavant, accentuant encore le fossé entre les plus pauvres et les plus riches.

À l’autre bout, le 1 % des plus fortunés n’a cessé de prospérer, quelles que soient les circonstances.

« En 2009, on dénombrait 793 milliardaires possédant ensemble 2 400 milliards de dollars. En 2016, la  fortune cumulée des 793 individus les plus riches atteignait 5 000 milliards de dollars, soit une augmentation de 11 % par an de la richesse de ce groupe de fortunés », rappelle le rapport d’Oxfam. Un enrichissement qui n’a rien à voir avec le mérite mais qui s’auto-alimente grâce à la financiarisation extrême de l’économie, et la gestion au service des grandes fortunes.

Bill Gates, le fondateur de Microsoft, qui arrive en tête du classement des

huit milliardaires les plus riches, a ainsi vu ainsi sa fortune augmenter de 50 % entre 2006, année où il a quitté la présidence du groupe informatique, et 2016. Celle-ci atteint désormais 75 milliards de dollars.

Derrière lui, on retrouve l’Espagnol Amancio Ortega, fondateur de la chaîne de mode Zara, le financier américain Warren Buffet, le milliardaire mexicain Carlos Slim, propriétaire d’un groupe pesant plus de 2 % du PIB du pays, Jeff  Bezos, le fondateur d’Amazon, Mark Zuckerberg, le créateur de Facebook, Larry Ellison, président de la firme de technologies Oracle, et Michaël Bloomberg, propriétaire de l’agence d’information financière Bloomberg et ancien maire de New York.

Ce n’est pas un hasard si ces huit « maîtres du monde » sont souvent à la tête de firmes classées parmi les « intaxables ». L’évasion fiscale à échelle mondialisée, l’évitement de toute imposition sont les piliers de ce système d’accumulation sans précédent. Toute taxe leur semble insupportable. Apple en arrive ainsi à  payer 0,0005 % sur ses bénéfices réalisés en Europe en 2014.

7 600 milliards de dollars sont cachés dans les paradis fiscaux, selon les estimations de l’économiste Gabriel Zucman. Cette évasion fiscale est payée par tous les autres, obligeant les populations, à commencer par les plus pauvres, à financer des services que ces firmes ne souhaitent pas payer mais veulent bien utiliser.

« À elle seule, l’Afrique subit un manque à gagner fiscal de 14 milliards de dollars, en raison de l’utilisation des paradis fiscaux par les plus fortunés.

D’après les calculs d’Oxfam, cela suffirait pour financer des soins de santé qui pourraient sauver la vie de quatre millions d’enfants et pour employer assez d’enseignants pour scolariser tous les enfants africains », insiste l’ONG dans son rapport. Les fondations et autres entreprises de charité mises en avant par les plus riches pour justifier leur fortune et leur situation ne sauraient suffire à compenser cette évasion fiscale généralisée.

Les États sont les premiers complices de ce détournement qui a atteint des proportions inégalées.

Les pays se livrent à une surenchère féroce pour abaisser encore les impôts sur les sociétés. Il y a toujours un politique ou un expert pou réclamer un nouvel abattement, comme le souligne le rapport d’Oxfam. Un « capitalisme de connivence » s’est institué, dénonce l’ONG, où les plus riches, les plus grandes entreprises utilisent leur pouvoir d’influence pour écrire les lois et les réglementations à leur seul profit, au détriment de l’intérêt général, au préjudice de tous les autres : des entreprises qui n’appartiennent pas aux puissances comme des citoyens ordinaires.

En quatre jours, l’équivalent d’un Smic annuel

Depuis trente ans, tous les responsables politiques ont accepté sans discuter les lois, censées être universelles, d’un capitalisme totalement dérégulé et mondialisé.

La rentabilité pour les actionnaires ne se discute pas, la maximisation des profits à court terme non plus.

« Au Royaume-Uni, la part des bénéfices revenant aux actionnaires était de 10 % dans les années 1970 ; elle est désormais de 70 % », note Oxfam. L’an dernier, les entreprises du Cac 40 ont versé 55,7 milliards d’euros sous forme de dividendes et de rachat d’actions, selon Les Échos.

Ces sommes versées – deux fois supérieures à la totalité de l’impôt sur les sociétés en

France – représentent un taux de distribution de 57 % des bénéfices contre 51 % auparavant.

Contrairement à l’idée entretenue, ces redistributions ne sont faites qu’au profit d’un tout petit nombre.  « Il y a trente ans, les fonds de pension [bras armé des régimes de retraite par capitalisation, au nom desquels le capitalisme actionnarial a été justifié – ndlr] détenaient 30 % des actions au Royaume-Uni, contre seulement 3 % actuellement.

Tout, désormais, est orienté vers les hedge funds, les fonds spéculatifs, la finance de l’ombre dont les plus riches sont les seuls et uniques bénéficiaires. Un système appelé à se renforcer et à se perpétuer au fur et à mesure que ces « maîtres du monde » cèdent la place à leurs héritiers.

Les dirigeants d’entreprise, à travers un système de rémunération de plus en plus sophistiqué où s’additionnent salaire, bonus, actions gratuites, retraite chapeau, réussissent à accumuler des fortunes en un clin d’oeil.

En deux jours et demi début janvier, les présidents des firmes britanniques figurant au FTSE 100 avaient déjà gagné plus que le salaire moyen (28 000 livres, soit 31 790 euros) en Grande-Bretagne

sur un an. Les P.-D.G. du Cac 40 ont atteint en quatre jours, début janvier, l’équivalent d’un Smic brut annuel.

Dans le même temps, les pressions sur les 99 % autres n’ont cessé de s’accentuer.

Le PIB mondial a beau avoir plus que doublé en trente ans, l’immense majorité de la population mondiale n’a en quasiment rien vu.

« Les revenus des 10 % les plus pauvres ont augmenté de moins de 65 dollars (soit trois dollars par an en moyenne) entre 1988 et 2011, tandis que l’augmentation des revenus des 1 % les plus riches était de 182 fois supérieure (11 800 dollars) », relève Oxfam.

Cette avidité sans bornes conduit les plus riches à vouloir augmenter encore et toujours les profits, à justifier les pillages écologiques, les grandes stagnations des salariés dans les pays développés, les situations de quasi-esclavage dans les pays en développement.

Selon l’Organisation internationale du travail, 21 millions de personnes sont victimes de travail forcé dans le monde.

Ces esclaves rapporteraient près de 150 milliards de dollars de bénéfices chaque année.

« Il est temps de mettre l’économie au service des 99 % », tonne Oxfam à l’adresse des responsables politiques. Estimant que les inégalités ont atteint un niveau insupportable, l’ONG juge qu’il faut en finir avec les vieilles lunes qui ont servi à justifier l’injustifiable. « Le FMI a identifié le néolibéralisme comme une cause déterminante des inégalités croissantes. À moins de réfuter ces idées reçues, nous serons incapables de changer la donne », dit-elle.

Parmi ces idées reçues figure celle du « marché qui a toujours raison », de « l’État qui doit  être le plus faible possible », « des inégalités qui sont sans conséquence sur le système économique », des « ressources illimitées de la planète ».

Les responsables et les élites affirment aujourd’hui qu’ils ont entendu le message.

À Davos, les premiers s’apprêtent à disserter sur le malaise des classes moyennes, la montée du populisme, les remèdes à apporter à un système économique qui ne fonctionne plus. Tous se disent inquiets. « Les piètres perspectives d’emploi et les bas salaires ont posé les fondations pour la montée des populismes.

Les responsables politiques ont-ils ignoré ces tendances ou fait trop peu pour y remédier ? Que peut-il être fait pour restaurer la croissance pour les classes moyennes et leur confiance dans le futur » est-il résumé doctement pour présenter une des conférences sur le populisme.

« Il y a un consensus sur le fait que quelque chose d’énorme est en marche, quelque chose de mondial et par de nombreux aspects sans précédent. Mais nous ne savons quelles en sont les causes et comment les traiter », dit un responsable d’un think tank, Carnegie Endowment for International Peace, invité à Davos. Ils ne savent pas quelles sont les causes…

Jusqu’au bout, les « maîtres du monde » semblent décidés à défendre un système qui a tourné à leur seul profit.
PAR MARTINE ORANGE

ARTICLE PUBLIÉ LE MARDI 17 JANVIER 2017

www.mediapart.fr

Merci à eux.