Jean Gadrey économiste membre d’Attac, mais pas des « économistes atterrés » depuis son livre « ADIEU à la CROISSANCE » (une de nos lectures d’hiver et d’été) est classé « objecteur de croissance ».
Son blog, est une mine d’analyses bien documentées orientée dépassement du capitalisme par une perma-économie.
Malheureusement Jean vient de nous confier qu’il a choisi de ne plus produire de conférences et d’arrêter son blog.
Ami de la Cen, il avait accepté avec une douzaine de philosophes , sociologues, chercheurs, militants et écrivains de la « parrainer » via un « conseil d’accompagnement » (scientifique)
Avec Baba et quelques autres anciens (comme Marx !) et nouveaux (comme ceux de la Décroissance )…il est une de nos sources essentielles en matière de critique de l’économie capitaliste, de sa croissance, de ses industrialisme/extractivisme, culture du consumérisme et des bavardages, platitudes, nombrilisme, dérivations
Une autre relance est possible !
Un débat essentiel existe à gauche entre ceux qui pensent qu’il faut très vite relancer la croissance (qu’ils qualifient de « verte », crise écologique oblige), et ceux qui estiment qu’il faut « profiter de la crise » pour en finir avec le culte de la croissance et proposer une autre vision du progrès.
Les premiers ont un argument : la croissance est favorable à l’emploi, et elle dégage des surplus économiques pour améliorer les conditions de vie et la protection sociale. Cette « loi » a été plus ou moins vérifiée dans le passé. On en déduit qu’elle doit s’appliquer à l’avenir. C’est faire preuve de peu d’imagination face à une crise systémique.
CREER DES EMPLOIS SANS CROISSANCE, C’EST POSSIBLE…
Créer des emplois sans croissance des quantités produites mais par la croissance de la qualité (de vie, des produits) et de la durabilité (des produits, processus, modes de vie) est une possibilité que la plupart des économistes ignorent, scotchés qu’ils sont aux bonnes vieilles « lois » du passé : quand la productivité du travail progresse de 1 % par an, il faut une croissance de 1 % pour seulement maintenir l’emploi, et de plus de 1 % pour ajouter des emplois. C’est absolument imparable (à durée du travail inchangée) tant que l’on croit que les chiffres de croissance et de productivité sont l’alpha et l’oméga de l’analyse économique. Mais c’est absolument insoutenable quand on prend conscience que ces chiffres passent à côté de ce qui va devenir l’essentiel !
Les calculs macroéconomiques de la croissance, de la productivité et du pouvoir d’achat ne tiennent pratiquement aucun compte des gains ou pertes de qualité et de durabilité. La production d’un kwh d’une centrale à charbon y est comptée comme celle d’une éolienne, la production d’une tonne de blé bio comme celle de l’agriculture polluante, celle d’un m2 de logement à zéro émission comme celle d’un logement qui gaspille l’énergie, à confort identique. Le gigot néo-zélandais qui a parcouru 18 000 kms en avion-cargo réfrigéré y est équivalent au gigot « propre et sain » de proximité, et, pour peu que le premier soit moins cher, on dira même qu’il améliore notre pouvoir d’achat. Tout ce qui est en train de bousiller les ressources naturelles, l’eau, la biodiversité et le climat compte pour du beurre dans ces comptes du fordisme auxquels nos économistes croient dur comme fer. Ils ne peuvent donc pas envisager une seconde une progression de l’emploi sans croissance « puisqu’il y a des gains de productivité liés au progrès technique ».
Ce qui détermine l’emploi, ce n’est pas le couple croissance/productivité (parce qu’il ne mesure pas l’essentiel des changements en cours et à venir), c’est d’abord la valeur ajoutée et son contenu en travail. Or il existe deux grandes façons typiques de faire « progresser » la production. La première, fordiste, consiste à produire plus des mêmes choses avec la même quantité de travail. C’est la définition des gains de productivité du travail. Il y a alors de moins en moins de valeur ajoutée et de travail par unité produite (mais pas forcément moins de ressources naturelles et de pollutions par unité produite, là est le problème). La seconde, qui va être au cœur du « développement durable », consiste à produire et consommer autrement et plus sobrement d’autres choses (des kwh « propres », des aliments bio, des m2 à zéro émission, des produits à longue durée de vie et recyclables…), et cela exige en général plus de travail et plus de valeur ajoutée par unité produite que dans les solutions productivistes. Par conséquent, une réorientation de la production et des modes de vie vers la durabilité, par substitution des productions et consommations « propres » aux solutions « sales », va se traduire par… une baisse de la productivité du travail TELLE QU’ON LA MESURE ACTUELLEMENT, selon des méthodes inadéquates. En revanche, cela n’a aucune raison de réduire la valeur ajoutée globale et l’emploi, bien au contraire.
Des scénarios existent pour une agriculture, une industrie, des bâtiments, des transports et des énergies durables (négaWatt, étude récente de WWF…). Ils combinent les apports des technologies et ceux d’une sobriété réfléchie et différenciée (personne ne demande aux plus démunis d’être sobres). Ils exigent tous plus d’emplois que dans les organisations actuelles, qui sont à la fois productivistes, gaspilleuses et polluantes. L’étude de WWF s’intitule « – 30 % de CO2 = + 684 000 emplois », avec une croissance zéro de la production de kwh, mais une progression des (bons) usages de l’énergie. Cela vaut le détour.
Mais, comme les prix des produits et services durables sont et seront en moyenne plus élevés, l’accès universel à des modes de vie durables, condition clé de succès et d’acceptation, suppose de s’en prendre énergiquement aux inégalités, ce qu’oublient fâcheusement les scénarios écolos précédents.
… MAIS IL FAUT REDUIRE FORTEMENT LES INEGALITES
L’autre relance, celle qui pourrait nous éloigner de la zone des tempêtes sociales et écologiques, passe non pas par la croissance mais par la solidarité (du local au global) et le partage. Partage du pouvoir économique et politique, partage des ressources économiques et naturelles, partage du travail, solidarité avec les générations futures. Aucune de ces formes de partage ne progressera sans des mobilisations puissantes contre les privilèges des possédants et des actionnaires.
Pour améliorer les conditions de vie de la majorité des Français en réduisant fortement leur empreinte écologique, pour éradiquer la pauvreté dans un monde durable, les ressources existent, sans exigence de croissance. Il faut « juste » les distribuer autrement. Les 0,15 % les plus riches du monde détiennent à eux seuls un patrimoine de 40 000 milliards de dollars, hors résidences principales. Un ISF mondial modeste au taux français rapporterait 600 milliards par an. C’est plus qu’il n’en faut pour atteindre à la fois les objectifs du millénaire adoptés par les gouvernements du monde entier aux Nations Unies et l’objectif de division par deux des émissions mondiales de gaz à effet de serre d’ici 2050.
En France, les réductions d’impôts directs décidées depuis 2000 en faveur des plus riches représentent un manque à gagner de 30 milliards d’euros par an pour les finances publiques, bien au-delà du seul « paquet-cadeau » fiscal de Sarkozy en 2007. Si l’on y ajoute les réductions de cotisations sociales patronales décidées depuis 1992, dont au moins la moitié sont inefficaces en termes d’emploi, cela fait plus de 50 milliards par an ! Il faudrait y ajouter les niches fiscales indécentes pour privilégiés, la fraude fiscale, l’évasion dans les « enfers fiscaux », les profits scandaleux de Total, etc. D’énormes ressources publiques sont ainsi disponibles, sans croissance autre que qualitative, pour la « relance » d’un progrès social respectant les équilibres écologiques : éducation, santé et autres services publics, gardes d’enfants, personnes âgées, logement, mais aussi minima sociaux, contrôle public des banques, emplois jeunes de qualité, emplois durables dans de nouvelles activités d’utilité écologique et sociale, accompagnement de la reconversion des activités insoutenables. Elles permettraient d’investir massivement dans la « grande bifurcation » d’un système en faillite sur tous les plans.
Les « croissancistes » font penser à des pédiatres qui confondraient le développement d’un enfant avec sa prise de poids. Ils nous incitent à l’obésité économique, une pathologie qui peut être fatale. 2 % de croissance par an d’ici 2100 signifie six fois plus de biens et de services produits. Indépendamment même de l’aggravation dramatique de la crise écologique que cette accumulation insensée provoquerait, franchement, six fois plus de quoi ? Quand arrête-t-on cette course folle ? Trop tard ou tout de suite ? La croissance fait désormais partie non pas des solutions, mais des problèmes.
Cet article a été posté le Mardi 3 février 2009 dans la catégorie Les derniers articles. Vous pouvez envoyer un commentaire en utilisant le formulaire ci-dessous.