2 janvier 2017 / Nicolas Bardot (Film de Culte)Les images d’Homo Sapiens pourraient venir d’un film de science-fiction, se déroulant dans une Terre devenue inhabitée. Nikolaus Geyrhalter filme des endroits désolés où il ne reste que des traces du passage des humains et de la civilisation.
Il y a dix ans, l’Autrichien Nikolaus Geyrhalter traitait déjà de déshumanisation en marche avec Notre pain quotidien, documentaire cauchemardesque sur l’industrie alimentaire. Dans l’ironiquement nommé Homo Sapiens, il est littéralement question de déshumanisation : le film consiste en une succession de plan d’endroits abandonnés par l’homme. Ce ne sont pas seulement des lieux « vides », comme une forêt sans âme qui vive. Ce sont des endroits où demeurent des traces de l’humanité, de la civilisation, mais qui ont semble t-il été oubliés par le monde entier. De Fukushima à Nagasaki, de l’ex-Union soviétique aux bois jolis d’Autriche, Geyrhalter a posé sa caméra dans des lieux qui hier encore vivaient, et qui aujourd’hui ne semblent à première vue qu’accueillir quelques piafs et crapauds.
La première chose qui frappe en voyant Homo Sapiens, c’est le sens plastique du cinéaste : chaque plan est une splendeur dans sa composition, ses lignes, sa profondeur. Derrière la beauté évidente, il y a des drames : des magasins abandonnés dans l’urgence laissent deviner les choses terribles qui ont pu se passer. Il faut un talent certain pour arriver à rendre émouvant des plans fixes de lieux vides — Geyrhalter y arrive avec brio et son concept ne se limite évidemment pas à un économiseur d’écran esthétisant. Il y a quelque chose d’éminemment romanesque à imaginer les bouts manquants : ce qui a mené ce bateau échoué dans un champ ou ce tank (!) abandonné dans la forêt. C’est presque, dans une richesse de tons remarquable, à un comique de répétition qu’on assiste avec une escalade de l’improbable, comme ces missiles laissés à l’air libre ou cette route qui s’est totalement cassé la gueule. Stades géants dans lesquels goutte la pluie, lieux de loisirs en friche et encore plus sinistres, hôpital et ses fantômes : autant d’anomalies poétiques que le cinéaste donne à voir.
Il y a une tristesse qui ressort de ce spectacle, à l’image de mascottes rose bonbon, éventrées et la tête par terre. Mais le film, plus complexe qu’il n’en a l’air, charrie des émotions contradictoires. On assiste à une apocalypse, mais le chaos ici est paisible. La nature a repris ses droits, comme si l’humanité avait vraiment disparu — et la vie continue. Lorsque des rayons de lumière traversent des bâtiments vidés, une atmosphère magique s’installe. À l’image de la musique répétitive, Homo Sapiens gagne en ampleur au fil du film, de petits garages à vélos oubliés en début de long métrage à des villes fantômes entières qui s’élèvent. Le procédé est aussi radical que bête comme chou, accessible que passionnant, grandeur et décadence d’une humanité paradoxalement omniprésente et comme vous l’avez rarement vue.
Homo Sapiens, de Nikolaus Geyrhalter, 1 h 34.
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