Avec l’aimable autorisation d’Inprecor
- Il fut un temps où le mode de production capitaliste a représenté un grand progrès sur tous ceux qui l’avaient précédé, malgré le caractère problématique et finalement destructeur qu’allait prendre ce progrès historique. En brisant le lien entre l’être humain et la production, qui a longtemps prévalu mais qui était contraignant, pour le remplacer par la relation marchande, le capital s’est ouvert au déploiement dynamique de possibilités d’expansion apparemment irrésistibles, qui – du point de vue du système capitaliste et de ses personnifications volontaristes – n’auraient pas de limites concevables. Du fait des déterminations internes paradoxales et finalement insoutenables du système capitaliste, ses produits transformés en marchandises «sont des non-valeurs d’usage pour ceux qui les possèdent et des valeurs d’usage pour ceux qui ne les possèdent pas. Aussi faut-il qu’elles passent d’une main dans l’autre sur toute la ligne. (…) Il faut donc que les marchandises se manifestent comme valeurs, avant qu’elles puissent être réalisées comme valeurs d’usage. »1
Cette détermination interne contradictoire du système, qui impose la soumission impitoyable des besoins humains à la nécessité aliénante de l’expansion du capital, écarte la possibilité d’un contrôle rationnel général de cet ordre productif dynamique. Elle est aussi porteuse de conséquences périlleuses et potentiellement catastrophiques sur le long terme, transformant à une certaine étape le grand pouvoir positif d’un développement précédemment à peu près inimaginable en négativité dévastatrice, de par l’absence totale de la nécessaire limitation reproductive.
Ce qui est systématiquement ignoré – et doit être ignoré, du fait des impératifs inaltérables du fétichisme et des intérêts particuliers du système du capital lui-même – c’est le fait que, inéluctablement, nous vivons dans un monde fini, avec ses limites objectives qui sont au sens strict vitales. Longtemps au cours de l’histoire humaine, y compris plusieurs siècles de développement capitaliste, ces limites pouvaient être – et elles l’étaient – ignorées avec une relative sécurité. Cependant, une fois qu’elles s’affirment, comme elles doivent le faire très nettement dans notre époque historique irréversible, aucun système productif irrationnel et gaspilleur, si dynamique soit-il (en fait le plus dynamique est le pire), ne peut échapper à leurs conséquences. Il peut seulement les négliger pendant un certain temps en se réorientant vers la justification insensible de l’impératif plus ou moins ouvertement destructif du maintien du système à tout prix : en prêchant la sagesse du « il n’y a pas d’alternative » et dans cet esprit en ignorant ou même en les supprimant brutalement les plus évidents des signaux d’alerte qui préfigurent le futur insoutenable….