26 juin 2015 | Par Jade Lindgaard sur www.mediapart.fr
Pour la première fois, une large coordination internationale de mouvements sociaux, d’ONG écologistes, d’associations d’aide au développement, de syndicats et de groupes religieux s’associent dans un texte commun sur le climat.
Objectif : mettre la pression sur les gouvernements à la veille de la COP21.
À six mois de la conférence de Paris, la COP 21, et à la veille d’une réunion organisée à New York par l’ONU le 29 juin, ils publient une « épreuve des peuples sur le climat » (« the people’s test on climate » en anglais) qui formule leurs demandes concernant l’accord contre le dérèglement climatique que les États doivent signer en décembre. « Tout indique que les résultats du sommet sur le climat de Paris ne seront pas à la hauteur des enjeux. Au contraire, il risque de légitimer les rapports de force actuels en faveur des élites, en ne proposant que des changements marginaux », s’inquiètent-ils.
Nous publions ce document sur http://www.mediapart.fr/journal/international/260615/un-appel-inedit-de-la-societe-civile-pour-le-climat?utm_campaign=2831074&utm_medium=email&utm_source=Emailvision
« Seule une transformation systémique de nos sociétés, de nos économies et de notre monde pourra permettre de répondre, tant à la crise climatique, qu’à l’accroissement des inégalités », préviennent-ils en préambule. Alors que le cœur de la négociation onusienne sur le climat porte depuis vingt ans sur la réduction des gaz à effet de serre, ils insistent sur la défense des droits économiques, sociaux et politiques des habitants des pays pauvres et en développement, « les communautés les plus vulnérables aux impacts du changement climatique, tout en étant les moins responsables du problème » : droit à l’eau et à l’alimentation, justice pour les communautés impactées par les pollutions et les bouleversements du climat, nécessité de réaffecter les financements des énergies polluantes vers les énergies « propres », tout en soutenant l’accès communautaire décentralisé à l’énergie.
Aucun de ces sujets n’est directement traité dans le projet d’accord (voir ici) de Paris. Ils constituent le principal enjeu de l’adaptation, sujet en général peu porté par les pays riches, et surtout insuffisamment financé (l’adaptation ne représente pas plus de 20 % de l’aide de la France pour le climat, par exemple). Concernant la COP 21, ils formulent quatre exigences politiques : la réduction immédiate et drastique des émissions de gaz à effet de serre, sans attendre 2020, date prévue du début de mise en œuvre d’un éventuel accord à Paris ; plus d’argent et de transferts technologiques vers les pays vulnérables ; garantir la justice pour les communautés impactées, et notamment pour « sécuriser l’emploi et les moyens de subsistance des travailleurs grâce à des transitions justes » ; se concentrer sur les actions transformatrices et ne pas faire diversion avec les « fausses solutions » telles que les marchés carbones sur les terres, et la géo-ingénierie.
Cette « épreuve » des peuples pour le climat avance sur un fil politique : affirmer qu’il est encore possible que l’accord de Paris sur le climat change la donne, tout en dénonçant les compromissions et la médiocrité des dirigeants politiques : « Nous craignons qu’à l’issue de ce rendez-vous, à Paris, les décideurs politiques ne fassent pas preuve de l’ambition nécessaire pour répondre à ces objectifs de manière suffisante ou équitable (…). La responsabilité des gouvernements est multiple. Ils seront tenus responsables des résultats du sommet de Paris, de la mise en œuvre des politiques nationales et régionales, mais aussi des réponses apportées aux besoins concrets des peuples et de la planète », préviennent les signataires.
C’est un discours inhabituel de la part des grandes ONG écologistes internationales telles que Greenpeace, Oxfam, Action Aid ou CIDSE, un réseau d’obédience catholique. Tout aussi inédite est la volonté des organisations syndicales regroupées dans la Confédération internationale des syndicats (CIS) de s’associer aux réseaux de défense de l’environnement et à des mouvements sociaux du Sud tels que l’Alliance panafricaine pour la justice climatique, le Mouvement des peuples asiatiques sur la dette et le développement ou encore la Plateforme bolivienne sur le dérèglement climatique.
Cette alliance révèle la colère grandissante et parfois le désarroi des mouvements sociaux face à l’échec répété de la coordination internationale contre le réchauffement de la planète. Elle est née d’un précédent sommet sur le climat en 2013, à Varsovie, lorsque de nombreuses ONG et associations ont claqué la porte de la COP pour dénoncer l’omniprésence des lobbies industriels des énergies fossiles, et du charbon en particulier.
Conseillère politique de la CIS, Anabella Rosemberg explique que « l’accord ne pourra pas ignorer la tradition humaniste et de défense des droits humains qui est celle de l’ONU. Nous voulons dire qu’il existe des raisons d’être positifs et qu’on peut se mettre sur la bonne voie à condition d’adopter une orientation plus sociale et de dire la vérité aux citoyens : l’accord sur le climat ne sera pas à la hauteur s’il n’est pas connecté à la réalité ». Pour Romain Benicchio d’Oxfam, « l’enjeu de la COP 21 n’est pas que le dérèglement climatique, c’est la justice au sens large. Il n’y a pas qu’une solution contre le changement du climat, et pas qu’une seule vision. Cette approche plus large recueille un vrai consensus ». En charge des questions climatiques pour WWF international, Samantha Smith explique que « si nous voulons agir contre le dérèglement climatique, il faut un soutien plus large de la société. La discussion ne peut pas se limiter aux ONG écolos et aux mouvements sociaux. Il faut parler aux travailleurs, aux jeunes, aux croyants ». Son organisation n’a pas signé l’épreuve pour le climat, mais dit en soutenir l’esprit et en partager la vision. Nouveau venu sur la scène internationale avec sa campagne pour le désinvestissement des énergies fossiles, le réseau américain 350 a lui signé l’épreuve pour le climat, au côté des Amis de la terre, qui occupe depuis plusieurs décennies l’aile gauche du mouvement écologiste international.