Le traité de libre-échange entre l’Europe et le Canada sera mis en œuvre sans aucune évaluation
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Le 5 juillet, la Commission et le Conseil européen se sont prononcés sur le statut de l’accord de libre-échange entre l’Union européenne et le Canada (Ceta, pour Canada-EU Trade Agreement). Sous la pression des citoyens, la Commission a finalement renoncé à adopter ce traité commercial sans l’aval des Parlements nationaux [1]. « Le président François Hollande et la chancelière Angela Merkel, conscients de la sensibilité du sujet, n’avaient pas du tout envie qu’on les accuse de vouloir ratifier un accord majeur « en cachette » », souligne le journal Le Monde. Les élus de chaque pays pourront donc se prononcer.
Reste que la Commission prévoit une application provisoire de l’accord dès sa ratification par le Parlement européen. « Seules les compétences « nationales », très peu nombreuses dans le cas du CETA, échapperont à cette règle ; toutes les dispositions de libéralisation du commerce et de l’investissement prévues explicitement par l’accord, même lorsqu’elles impliquent les administrations nationales, pourront être immédiatement appliquées, probablement début 2017, sans attendre les votes nationaux », estime Amélie Canonne, de l’Aitec, une association qui œuvre pour la régulation du commerce et de l’investissement [2].
Absence d’étude d’impact
Selon Amélie Canonne, cette « fausse querelle » entre institutions européennes et représentations nationales permet d’éviter une question fondamentale : « Comment justifier le soutien inconditionnel de Paris au CETA quand aucune étude d’impact n’a été effectuée mais qu’un spectre très large d’observateurs (juristes, économistes, syndicats, paysans, associations de consommateurs ou de protection de l’environnement…) en redoutent des effets désastreux ? » Cet accord comporte par exemple des dispositions interdisant aux collectivités de privilégier l’approvisionnement local dans leurs appels d’offres, ce qui constitue une menace pour les filières locales (notre article).
En outre, les conséquences du Brexit sur le CETA, négocié pour une Europe à 28 et mis en place pour une UE éventuellement réduite à 27, ne sont claires pour personne. En 2015, 42 % des exportations canadiennes dans l’UE se sont concentrées vers le Royaume-Uni, fervent promoteur de l’accord [3]. Comme le relève Emmanuel Aze, de la Confédération paysanne, « les contingents annuels d’importation pour certains produits sensibles comme la viande de bœuf ou de porc ont été définis en prenant en compte le Royaume-Uni, bien placé pour en absorber une part importante. Sans ces débouchés, c’est le flou total : les 27 devront-ils assumer des engagements pris pour 28 ? Ce serait un désastre encore plus grand pour les éleveurs européens, et notamment français. »
Des accords de libre-échange perçus comme mauvais
Selon un sondage daté du 24 juin, huit Français sur dix estiment que le CETA – ainsi que le TAFTA , l’accord de libre échange entre les États-Unis et l’UE – remet en question les lois ou normes françaises protégeant la santé, la qualité de l’alimentation, l’environnement, et le climat. Une majorité perçoit négativement les conséquences de ces accords sur l’emploi et la qualité de l’alimentation [4]. Une preuve supplémentaire de la défiance grandissante des citoyens à l’égard des accords de libre-échange. Prochaine étape décisive : le vote du Conseil européen, qui réunit les chefs de gouvernement des pays membres, prévu à la fin de l’année 2016. Il suffit qu’un seul État-membre rejette le CETA pour que ce dernier soit abandonné.
Sophie Chapelle
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