Il y a près de deux mois, Eric Cantona expliquait dans une vidéo que « le système est bâti sur le pouvoir des banques » et que la « vraie révolution » se ferait le jour où tout le monde irait retirer son argent des banques pour attaquer le système en plein coeur. Alors qu’un groupe de citoyens a lancé un appel massif en ce sens la CEN, reprenant un appel des Amis de la Terre, de « sauvons les riches » et d’économistes tels que de Paul Jorion, Frédéric Lordon, T.Coutrot (Attac), Alain Lipietz (EELV) conseillent plutôt aux particuliers qui souhaitent participer au « bankrun » (« panique ou ruée bancaire ») de changer définitivement de banque et/ou d’utiliser leur épargne de manière réellement responsable. En effet, des solutions existent et sont notamment présentées sur les sites www.financeresponsable.org., ou www.jechangedebanque.org.
Changer le système bancaire actuel est nécessaire comme l’a encore révélé la crise financière de 2008. La recherche de profits à court terme et l’irresponsabilité des marchés financiers a eu des conséquences dramatiques pour des millions de personnes dans les pays du Sud comme du Nord, mais les Etats ont préféré voler au secours des banques, responsables de la crise. Face à l’incapacité des pouvoirs publics de réguler l’activité financière internationale, chaque citoyen doit prendre conscience de son pouvoir en tant que consommateur et épargnant et à s’en servir face au pouvoir des banques. L’argent qui dort dans une banque complice de la crise peut en sortir définitivement et servir activement à la création d’un autre système, plus solidaire.
Avant même d’avoir eu lieu, ce « bankrun » a le mérite d’attirer l’attention sur les banques, qui sont au centre du modèle économique actuel. Les banques sont tellement incontournables qu’en France, premier pays bancarisé au monde, il est par exemple obligatoire de posséder un compte bancaire pour percevoir des allocations sociales. Mais les personnes qui retireraient leur argent des banques demain devraient sûrement le redéposer, à défaut de revenir au bas de laine. Ce pourrait être l’occasion de penser à l’utilisation de son épargne comme un moyen d’action pour aller vers un modèle de société plus équitable socialement et soutenable écologiquement. Il existe en effet des institutions bancaires responsables et transparentes, telles que la Nef, une société coopérative de finances solidaires qui investit exclusivement dans les domaines environnementaux, sociaux et culturels. La Nef reste à ce jour la seule institution financière française à publier intégralement la liste des projets qu’elle finance.
De même, les citoyens peuvent investir directement dans les entreprises de l’économie sociale et solidaire via l’actionnariat solidaire. Toutes ces solutions sont présentées et détaillées sur le site Internet des Amis de la Terre consacré à la finance privée – www.financeresponsable.org -, ainsi que dans leurs guides éco-citoyens « Environnement : comment choisir ma banque ? » et « Environnement : comment choisir mon épargne ? » (2).
Il faut dénoncer, au-delà du chiffre d’affaires affiché, la face cachée des banques privées et leurs pratiques scandaleuses : impacts sociaux et environnementaux désastreux de leurs financements et investissements dans des entreprises et projets controversés (centrale à charbon en Afrique du Sud pour le Crédit Agricole, sables bitumineux au Canada pour BNP Paribas, mine d’uranium au Malawi pour la Société Générale, entre de nombreux autres exemples). Outre leur irresponsabilité sur les marchés spéculatifs, les banques restent complètement opaques quant à l’utilisation qu’elles font de l’argent des citoyens, et elles ne tiennent pas compte des conséquences de leurs financements sur l’environnement et sur les populations, tant que cela ne représente pas pour elles de risque financier ou d’image. Il nous faut soutenir toute initiative citoyenne visant à remettre en question les pratiques actuelles du secteur bancaire, et qui pousserait, dans la cadre d’une banque éthique et solidaire, à réorienter l’utilisation de l’épargne vers le financement de projets permettant la transition vers des économies sobres en carbone.
Où nous mènerait l’appel de Canto ? Le gouvernement volera au secours des banques et ce sont les contribuables qui paieront, en baisses des services publics ou en hausses d’impôts.
L’idée de Cantona est en effet de provoquer un nouveau krach bancaire équivalent à celui de novembre 2008. Ceux qui, tout contents de « donner une leçon aux banques » pour les punir de se retourner contre les contribuables qui les avaient alors sauvées, relaient aujourd’hui l’appel de Canto, ne précisent pas « ce qu’on ferait le 8 décembre. Il y a donc tout à parier que ce serait exactement comme il y a deux ans. Si un nombre significatif de personnes « y croient » (« faire la révolution » en aggravant la crise) et tentent de mettre des banques en faillite en retirant d’un coup et de façon coordonnée leur argent, c’est bien ce qui se passera.
L’initiative de Canto ne vise au contraire qu’à aggraver la crise en provoquant un perte de confiance dans la monnaie fiduciaire (les chèques et transferts de compte à compte), comme en Argentine ou en novembre 2008. Une crise de « deleveraging » : les banques n’ayant plus assez de dépôts ne se prêtent plus entre elles et du coup font toutes faillite en même temps.
Comme le gouvernement cherchera à empêcher l’effondrement général, il réagira comme en Novembre 2008, aidera les banques, et coupera dans son propre budget de services publics jusqu’à dûe provision. L’opération revient purement et simplement à transférer la dette privée en dette publique avec les conséquences que nous commençons à explorer.
Quant au premier million de petits malins qui auront fait le coup, ils devront garder leur argent en liquide, car toutes les banques feront faillite y compris les « banques équitables » comme La Nef qui sont adossées à des banques commerciales et feront faillite avec elles.
Les autres déposants (c’est à dire chacun d’entre nous sauf le premier million) ne seront pas ruinés, car l’Etat garantit nos dépôts dans la limite de plusieurs dizaines de milliers d’euros. Là encore les contribuables et usagers des services publics paieront.
Canto pose cependant un vrai problème : le manque de vigilance sur l’usage de l’argent des déposants. Les gens considèrent leur banque de dépôt comme une sorte de coffre-fort qui évite d’avoir du liquide sur soi et chez soi. C’est ainsi que les banques de dépôts sont devenues les émetteurs de la monnaie usuelle, la « masse monétaire ».
Or elles font par ailleurs leur métier : elles prêtent (environ dix fois plus qu’elles n’ont en dépôt, car tout le monde ne retire pas son argent en même temps). C’est là-dessus qu’elles gagnent de l’argent. Et c’est avec ces prêts qu’elles contrôlent le monde, spéculent et ont mis nos économies en crise. Mais, quand elles sont plantées, les gouvernements ne peuvent plus les laisser se débrouiller (faire faillite), car alors, plus personne, de l’étudiant au retraité , ne retrouverait son argent ! La séparation des banques de dépôts et des banques d’affaires avait d’ailleurs été l’une des premières mesures face à la crise de 1929.
La finance solidaire apparaît comme une alternative, à condition que le reste ne s’effondre pas.
Joël Feydel, avec les aides bénévoles des sites suivants : amis de la terre, Paul Jorion, Alain Lipietz, Frédéric Lordon, Attac