Les mauvais élèves de la biométrie

Fin novembre, vingt personnes ont pénétré dans la cantine du Lycée de la Vallée de Chevreuse, situé dans la technopole de Saclay, pour dénoncer fermement le dispositif biométrique en place. A cette occasion, les machines ont été brisées à coups de marteau. Les trois étudiant-e-s interpelé-e-s seront jugé-e-s le 16 décembre au tribunal d’Evry, à 13h30, 10ème chambre.
Source de l'image : www.rue89.com
Source de l’image : www.rue89.com

La biométrie est une technique d’identification héritière de la criminologie du XIXème siècle qui passe par l’enregistrement et la reconnaissance de données biologiques et anatomiques (iris de l’oeil, traits du visage, forme de la main, empreintes digitales, ADN…). Elle est amenée à se généraliser en remplacement des moyens d’accès plus ou moins traditionnels (“ Bonjour, je suis madame Machin ”, “ Vigile, laissez-moi passer ”, code d’accès, carte magnétique…). Par exemple, vous posez la paume de votre main sur un lecteur, il traite les informations, vous êtes identifié, et vous pouvez passer — ou pas.

Depuis quelques mois, les Etats-Unis imposent à quiconque veut se rendre sur le territoire de se soumettre à un contrôle biométrique. Les gouvernements européens veulent légiférer au plus vite sur des passeports biométriques, et, en France, sur une carte d’identité biométrique obligatoire (INES). C’est-à-dire des “ papiers ” électroniques contenant des informations sur votre apparence physique, votre ADN et vos antécédents. La biométrie permet notamment d’optimiser le travail de la télésurveillance, les caméras pouvant identifier en un lieu donné et à distance les personnes sur les lieux publics.

Selon les dirigeants, il s’agit donc de lutter contre le terrorisme, l’immigration clandestine et la délinquance.L’autre enjeu est de céder rapidement des marchés déjà promis aux puissantes industries de microélectronique (Thalès, Sagem, Alstom, Altmel…).

La généralisation de la biométrie dans les lieux les moins justifiables, tels que le bureau, l’école ou la bibliothèque, répond aussi à l’exigence moderne qui veut que le dernier cri scientifique soit nécessairement un progrès. Mais surtout, cette diffusion des contrôles a pour but un véritable conditionnement à la biométrie. En effet, les pouvoirs craignant que la biométrie soit mal acceptée par les populations, il a été préconisé d’en banaliser l’usage au plus vite (voir par ex. le Livre Bleu 2004 du Gixel remis au gouvernement, HTUwww.gixel.fr).

Une quinzaine de lycées ont donc mis en place un contrôle d’accès biométrique à la cantine, quelques entreprises imposent le badgeage biométrique aux employés. On propose aussi des techniques de reconnaissance biométrique pour personnaliser l’accès aux téléphones portables et aux ordinateurs : la publicité se charge de rendre ce genre de chose aussi anodine que “ cool ”, notamment auprès des adolescents. Enfin, une “ information ” neutre et désintéressée est diffusée par de nombreux biais (“ tiens, tiens…une expo sur la biométrie à la Cité des sciences et de l’industrie ”).

Demandons-nous à quoi ressemble un monde dans lequel, quotidiennement, il faut soumettre une partie de son corps à des bornes informatiques pour aller travailler et manger. Demandons-nous si la transformation des rapports humains en transactions techniques n’est pas en train de faire de notre société un véritable no man’s land  : un univers totalement inhumain et anxiogène. Demandons-nous si les fonds publics engloutis dans la biométrie ne vont pas, au contraire, encore renforcer la misère sociale. Pas besoin d’arguments techniques pour se rendre compte de ce que signifient ces technologies pour le monde que nous voulons. Notre dignité est-elle prête à accepter l’idée selon laquelle notre identité individuelle, ce que nous avons de plus intime et de plus indéfinissable, puisse faire l’économie de la parole et de l’action pour se réduire à un système d’informations anatomiques ?

Notre conscience historique s’accommodera-t-elle d’une gestion concentrationnaire des corps humains dans les espaces publics ? Notre héritage politique peut-il tolérer une remise en question radicale de notre liberté de se mouvoir, de se réunir, et de désobéir quand nous le trouvons le plus légitime ?

LES FAITS

Jeudi 17 novembre, une vingtaine de personnes s’est introduite pacifiquement dans le lycée de la Vallée de Chevreuse (91). Certains ont distribué des tracts, d’autres ont improvisé une saynète qui fut interrompue par le bris de deux machines visant à contrôler l’entrée des lycéens dans le réfectoire. Depuis septembre 2005, Le lycée de la Vallée de Chevreuse avait mis en place les outils biométriques qui reconnaissent les contours de la main des élèves, préalablement enregistrés dans des bases de données informatiques. L’usage de la biométrie dans les cantines scolaires, dont l’efficacité est par ailleurs contestée, a pour objectif d’habituer les enfants à ces technologies carcérales afin qu’ils se soumettent sans résistance aux contrôles dans les aéroports, les bibliothèques et les gares, dont la mise en place est imminente.

Le 17 novembre, les perturbateurs du repas de midi voulaient dénoncer cette « éducation à la biométrie » qui sert à légitimer une présence de plus en plus quotidienne d’outils de contrôle en tous genres, fleurons de l’effort de guerre de la Science à l’encontre de la liberté humaine. Tout s’est passé dans une ambiance bon enfant jusqu’au moment où les participants à l’action, affublés de masques de clowns, quittaient le réfectoire en marchant. Certains, pris au hasard, ont alors été violemment molestés par un surveillant, puis par des élèves et d’autres membres du personnel, furieux que d’aussi belles machines aient été mises hors d’usage.

Le départ des clowns a été entravé à coups de pied et de poing alors qu’aucun d’eux n’avait fait preuve de quelque agressivité que ce soit envers les personnes physiques.

Trois d’entre eux ont été finalement remis à la gendarmerie. A l’issue de 24 heures de garde à vue et deux perquisitions, après avoir refusé la comparution immédiate, ils sont sortis libres du Tribunal de Grande Instance d’Evry. C’est là qu’ils seront jugés le vendredi 16 décembre à 13h30, pour « dégradation de bien en réunion ».

Soulignons qu’alors que les lycéens n’étaient nullement mis en danger par cet assaut festif de leur cantine, l’un des surveillants les a exposés de son propre chef en les incitant à frapper les perturbateurs. Il porte l’entière responsabilité de l’échauffourée à la sortie du lycée, qui aurait pu bien mal se finir. Tout ça pour un peu de ferraille et d’électronique endommagés : triste époque…

En plus d’être un irresponsable, ce surveillant est un fieffé menteur, puisqu’il prétend avoir capturé un des briseurs de machine. Nous sommes au regret de faire savoir publiquement qu’il se vante mal à propos, puisque aucun des trois inculpés n’a tenu de marteau ce jeudi midi. Raison de plus pour faire de leur procès le procès de la biométrie plutôt que celui des opposants au fichage généralisé.

Des complices.

 

Le jour de l’action, le tract suivant avait été distribué sur les lieux :

Lycéennes, lycéens,

Ne sentons-nous pas autour de nous l’étau qui se resserre, le bocal qui rétrécit ? Ne voyons-nous pas venir ce moment où l’on saura dans tous les détails ce que nous faisons, où nous sommes, ce que nous consommons ?

Il y a quelque chose de ça avec le système de biométrie installé dans la cantine du lycée. Pas un contrôle fort, d’accord. Juste l’un de ces trucs qui nous apprennent à toujours être identifiés, triés, séparés. Qui nous conditionnent, nous habituent à ressembler aux moutons et aux veaux dans nos assiettes, pucés pour que les administrations sachent parfaitement d’où ils viennent, quand ils naissent, quand ils meurent.

Le meilleur moyen de contrôler les humains, c’est pour l’instant de les mettre à l’école et au travail, avec en poche  une carte bleue et un téléphone mobile. Imaginez qu’un jour prochain, on nous mette une puce sous la peau, objectif avoué de ceux qui nous invitent à « s’inscrire à la biométrie » : il deviendra alors complètement impossible de nous révolter contre le pouvoir de l’Etat et des entreprises. Il ne s’agit pas de science-fiction, mais de ce qui arrive petit à petit ici et maintenant sous le voile du high tech branché et du jeu. Du temps de nos grands-parents, la science et la technologie devaient permettre d’en finir avec la misère et les inégalités. Aujourd’hui, le progrès cher aux anciennes générations sent à plein nez la prison et la mort. Dans ce nouveau millénaire, nous sommes nombreux et nombreuses à savoir que le délire scientifique et technologique est le premier obstacle à la justice sociale et à la liberté humaine.

Il est encore temps : demandons-nous si un monde sans caméra de surveillance, sans ordinateur et sans portable, ne serait pas plus vivable. Demandons-nous ce que la biométrie et ses puces peuvent nous apporter. Et ne laissons pas remettre en marche ces foutues machines à trier entre ceux qui ont les moyens et ceux qu’on envoie manger dehors (… Et n’hésitons pas à en saboter d’autres !).

Des complices

 Source : http://collectif.croac.free.fr/download/Proces_biometrie.pdf