DÉCLARATION AUX PUISSANTS D’ICI ET D’AILLEURS
DESTINÉE À EXPOSER LA RAISON POUR LAQUELLE
LE PETIT PEUPLE DE PARTOUT A ENTREPRIS D’UN COMMUN ACCORD
DE BÊCHER, RETOURNER ET FUMER LE SOL, PUIS DE SEMER LEGUMES ET CÉRÉALES
À NOTRE-DAME-DES-LANDES, EN BRETAGNE.
PAR CEUX QUI Y ONT SOUSCRIT, ET PAR DES MILLIERS D’AUTRES
QUI SONT EN ACCORD AVEC EUX
Le dimanche 1er avril 1649 en Angleterre, 2 mois après l’exécution du roi Charles I, un petit groupe d’individus, qui prirent le nom de Diggers (piocheurs, bêcheux), visiblement fort pauvres, gravissent la colline St-George, dans le Surrey, et entreprennent d’en travailler la terre. Les terres dépendent du Manoir local et leur action est manifestement illégale. Le nombre de cultivateurs réunis autour de Winstanley et de son ami Everard s’accroît rapidement lorsque femmes et enfants rejoignent leurs parents et partagent les quelques cabanes de bois construites à la hâte. Avant la fin de l’été, les Diggers de la colline St-George ont semé onze acres de céréales, construit six maisons habitables et entretiennent un jardin potager commun. Winstanley publie une déclaration en leur nom – dont nous avons repris ci-dessus l’intitulé du titre, en l’adaptant :
« Cette déclaration signifie de manière égale à tous les travailleurs, ou à tous ceux qu’on appelle les pauvres, qu’ils ne sauraient prétendre travailler en échange d’un salaire pour le compte d’un propriétaire ou de n’importe quelle personne qui se serait élevée au-dessus d’autrui : c’est en effet par leurs travaux qu’ils ont élevé les tyrans et la tyrannie, et c’est en refusant de travailler contre salaire qu’ils les abattront à nouveau. Celui qui travaille pour autrui, que ce soit contre un salaire ou en lui versant un loyer, le fait à l’encontre de la justice, et contribue à maintenir la malédiction ; mais ceux qui ont pris la décision de travailler et de manger ensemble, et de faire de la terre un trésor commun joignent leurs mains […] pour soulager la création du poids de l’esclavage et libérer toutes choses de la malédiction. »
G. WINSTANLEY, l’Étendart déployé des vrais niveleurs, éd. Allia, 2007, p. 39
Leur expérience sur place durera tout juste un an avant d’être réprimée, même si une trentaine de communautés diggers se mirent en place ailleurs et, dans une bonne partie du pays se répandit leur influence, selon laquelle la culture collective des communaux était le point de départ qui permettrait au peuple anglais tout entier de bâtir une communauté égalitaire. C’est des Diggers anglais dont s’inspira expressément, en 1966 à San Francisco, la fraction radicale de contestation du consumérisme américain qui en reprit le nom.
Deux cents ans plus tard, toujours en Angleterre qui est la première à avoir accompli sa révolution industrielle, K. MARX confirme les intuitions des Diggers :
« C’est ainsi que l’expropriation des paysans, leur transformation en salariés, amène l’anéantissement de l’industrie domestique des campagnes, le divorce de l’agriculture d’avec toute sorte de manufacture. Et en effet, cet anéantissement de l’industrie domestique du paysan peut seul donner au marché intérieur d’un pays l’étendue et la constitution qu’exigent les besoins de la production capitaliste. »
K. MARX, le Capital, chap. XXX, éd. la Pléiade, 1969, p. 1208
Cette vieille entreprise de vider les campagnes pour fournir à l’industrie les bras de prolétaires sans feu ni lieu continue à l’heure actuelle en Chine, par exemple. La contradiction violente qui s’exprime à Notre-Dame-des-Landes tient à ce que le capitalisme persiste dans son mouvement alors même que l’industrie et les villes, ici, rejettent à leur tour des prolétaires sans feu ni lieu ni avenir décent qui se tournent vers les campagnes pour reconquérir des territoires préservant les bases du vivant (notamment pour la production de nourriture saine) contre les ravages d’une économie folle – comme ces chômeurs occupant Somonte en Andalousie, ou le mouvement des Sans-terre au Brésil…
Le 13 avril, sur la zone d’aménagement différé, devenue par la lutte des opposants la zone à défendre, la remise en cultures de terres nourricières menacées est la seule vraie réponse contre la dévastation capitaliste, incarnée ici par un projet d’aéroport : reprendre le problème par où il a commencé !
Nantes, le 11/04/2013