Un revenu de base c’est un revenu de la soumission généralisée ?

Nous donnons ici ce texte pour affiner le débat déjà  engagé sur ce site et sur la liste de discussion ECHANGES de la Cen

 

Dominique Lachosme :

Chers lecteurs, ne devrions-nous pas baigner dans la félicité la plus totale ? Ne disposons-nous pas de deux, trois voire quatre voitures par foyer ? Ne serons-nous pas bientôt immortels grâce à nos implants numériques ? Curieusement, l’heure semble plutôt à la dépression collective… Nos doctrines politiques sont usées jusqu’à la corde. Et presque plus personne ne pense sérieusement que nous pourrions stopper la violence écologique, politique et civile.

L’heure est au repli, à la demande de protection, à la recherche de sécurité. Redresser la tête, penser contre les institutions dominantes, lutter contre l’exploitation ? Très dangereux tout ça. Le Front national est « le premier parti de France ». La gauche républicaine assigne à résidence des syndicalistes et des écologistes. Pas question de prendre des risques.

Revenu de base partout !

C’est dans ce contexte que déferlent les idées favorables au revenu universel. Celles-ci se trouvent à l’extrême-droite (FN), chez les libéraux (De Basquiat, Koenig), les Verts (Cochet, Bové), les socialos (Montebourg, Nouvelle Donne), les gauchos (Gorz, Negri), etc. Et même, aussi incroyable que cela puisse paraître, chez certains décroissants (Latouche, Mylondo) ! On ne compte plus les titres de presse qui tressent ses lauriers (Libération, Financial Times, L’Express, Politis, etc.). Bref on aurait plus vite fait de citer les dernières forces qui lui résistent dont… La Décroissance bien sûr ! Notre habitude perverse de ramer à contre-courant ? Non pas.

Enfants du berceau à la tombe

Que révèle de l’époque le revenu de base1 ? Que nous sommes devenus politiquement impuissants. Et ravis de l’être ! Nous aurions dorénavant tous droit – enfants compris2–, sans condition, à un revenu monétaire « parce que nous existons ». Révolutionnaire, n’est-ce pas ? Et on peut compter sur ses partisans pour faire ronfler la machine à superlatifs : nouvelle ère, abolition de l’extrême pauvreté… Toutefois, à y regarder de plus près, avec le versement d’un revenu universel l’Etat nous dirait « Mes petits, vous êtes a priori incapables de subvenir à vos besoins. Et nous, classes dirigeantes qui tenons l’Etat, allons généreusement vous octroyer sans condition un revenu. » Bien sûr, nombre d’entre-nous n’en auront pas besoin (nos revenus seront suffisamment élevés3). Alors leurs salaires, leurs transactions, leur patrimoine seront taxés pour le payer à ceux qui se seront révélés véritablement incapables.

Impuissance

Réfléchissons un peu même si ça donne la migraine. Pourquoi, en France, pendant des siècles, aucun courant politique ne revendiquait une chose pareille ? Parce que tous postulaient que nous, gens du peuple, étions puissants. L’émancipation politique portée historiquement aussi bien par les libéraux que par les socialistes4, supposait que nous prenions progressivement nos affaires en main sans tutelle, sans tuteur. C’est le peuple, disaient-ils, qui produit la valeur économique, pas les classes dirigeantes « parasites » ! Demander à celles-ci de distribuer inconditionnellement au peuple un revenu qu’il a lui même produit ? Absurde ! Politiquement suicidaire !

Si le discours en faveur du revenu inconditionnel a aujourd’hui un tel succès c’est qu’aucune force politique ne nous considère plus a priori comme des êtres capables politiquement et économiquement. Nous ne devons plus remettre en cause frontalement les institutions qui nous exploitent, nous broient, dévastent nos milieux naturels. Nous devons nous y soumettre. Car le revenu de base est totalement dépendant du capitalisme. Sans croissance de la valeur économique, il est impossible de le financer puisque celle-ci est sa base fiscale. Il faut donc que les millions d’entre-nous qui n’accepteront pas de se contenter d’un revenu de base bossent pour produire de la valeur économique. Alors seulement celle-ci pourra être taxée et payera ceux qui auront été incapables ou qui n’auront pas voulu être des « travailleurs productifs ». Ironie de l’histoire : si nous nous contentions d’un revenu universel, refusions massivement de produire de la valeur économique capitaliste, celui-ci ne pourrait plus être financé !

Une fois dégonflé l’emphase du discours, le revenu universel mobilise donc à la fois l’imaginaire d’une société rentière (l’existence de droits de tirage sur le travail d’autrui grâce à un « dividende social ») et celui du secours aux pauvres (donner un bout de pain à tous les incapables). Mais il le fait de façon très perverse puisque nous sommes tous considérés potentiellement comme des incapables économiques. Ne nous dit-on pas que, « bientôt », les robots vont « tous » nous mettre au chômage ? Et bien s’il en était ainsi5, cassons les robots dirait un individu épris de liberté ! « Vous êtes fous : soumettons-nous ! » dit le revenu de base dont les intellos prennent bien garde de dire qu’il ne s’agit pas « de remettre en cause l’automatisation mais de faire en sorte qu’elle profite à tous6 ».

Il vient de tout cela deux choses.

Le revenu de base est contre la décroissance

Le revenu de base n’a rien à voir avec la décroissance. Les liens entre revenu universel et écologie n’ont d’ailleurs rien d’évident. L’écologie politique ne nous pousse certainement pas à compter sur un revenu « tombé du ciel » (en fait de l’Etat). L‘heure est plutôt à la critique de la puissance du capital industriel. Si nous nous passions des machines les plus destructrices écologiquement (et donc de leurs propriétaires), il nous faudrait au contraire accepter de travailler davantage, mais autrement, pour disposer d’un environnement naturel plus sain.

De toute façon, l’écologie peut aller se faire voir une fois qu’on a compris que toutes les institutions du capitalisme sont mobilisées pour financer le revenu universel. Celui de l’Alaska est financé par… les revenus boursiers tirés de l’exploitation pétrolière ! Les pseudo-dissidents écolos dotés de leur revenu de citoyenneté profiteront peut-être, grâce au travail d’autrui, de leur potager bio et de leur maison en paille. Ils échangeront sans doute des richesses grâce à quelques « monnaies locales »… Tant que des actionnaires n’auront pas décidé de construire dans leur voisinage proche une usine de traitement du lisier d’élevages industriels ou un forage d’exploration de gaz de schiste ! Décision sur laquelle, pas plus qu’auparavant, nous n’aurons prise démocratiquement. Le revenu de base nous rendrait libres ? Autant que des volailles dans un poulailler ouvert au premier renard qui passe !

Le revenu inconditionnel est une attaque libérale

S’il devenait réalité, le revenu inconditionnel détruirait la sécurité sociale. Les dirigeants de l’Etat finlandais envisagent de financer un revenu pour 700 euros par mois en contrepartie de… la suppression des prestations sociales ! En France, le député F. Lefebvre (LR) défend un revenu universel grâce auquel « l’ensemble des aides au logement, au chômage, aux études ou les pensions de retraite seront supprimées. » Pourquoi l’objectif prioritaire des classes dirigeantes est-il aujourd’hui la destruction de la sécurité sociale. ? Parce que celle-ci, née dans les rangs du syndicalisme révolutionnaire, a un vrai potentiel anticapitaliste. Le revenu de base est le candidat idéal pour la détruire avec le sourire et les meilleures intentions en bandoulière. Après s’être « félicité » que les députés s’intéressent au revenu universel (tu m’étonnes !), le Mouvement Français pour un Revenu de Base s’est quand même alarmé que les chômeurs et retraités verraient leurs conditions de vie se dégrader terriblement… Or dans le même communiqué le MFRB « ne se prononce pas sur l’avenir à long terme des assurances collectives »7 ! S’il ne « ne se prononce pas » pourquoi serait-il contre leur destruction ? Faudrait savoir ! Sur son site même se trouve une proposition en tous points similaire à celle de l’Etat finlandais et de F. Lefebvre : celle défendue par l’ultra capitaliste J. Marseille. Pour le MFRB, celle-ci « n’est pas forcément ressentie comme légitime et peut en tout cas difficilement être applicable dans l’immédiat.8 » J’en déduis donc qu’elle pourrait être appliquée plus tard. Une fois que la sécu aurait été détruite. Curieux n’est-ce pas pour des gens qui « ne se prononcent » pas sur son avenir à long terme…

Voilà à quoi sert la manipulation par les classes dirigeantes du discours favorable au revenu de base, et de tous ceux qui la ressassent après avoir mis leur cerveau au congélateur. La casse des institutions ayant un réel contenu anticapitaliste sur lesquelles nous pourrions nous appuyer pour combattre la domination présente. Mais qui le souhaite encore ? Apparemment plus grand monde… Le revenu de base prospère sur la soumission généralisée.

Dominique Lachosme

Fachos, libéraux, socialistes, anars : même combat !

Profitant de l’appel d’air créé par le député Lefebvre, huit « personnalités » (dont l’inénarrable « anti utilitariste » Alain Caillé et trois ultralibéraux) ont publié dans la presse à euros (Libération) une tribune « Pour un revenu universel inconditionnel » (12 novembre 2015). On y apprend que tout le monde est pour le revenu de base : des « socialistes » (comme le… libéral Thomas Paine !) en passant par les libéraux comme Milton Friedman (c’est vrai) aux « libertaires » (grâce à Michel Foucault qui est autant « libertaire » que je suis pape). Curieusement l’extrême-droite est négligée par nos champions du consensus. Le Front national, avec son cercle « Idées Nation », travaille pourtant sur ce sujet depuis au moins la fin des années 1990. Tous-ensemble-ouais : des fachos aux anars ! Toute possibilité d’assumer un conflit politique ouvert, argumenté, est niée. Si vous êtes contre le revenu de base c’est que vous êtes un salaud (« vous ne voulez pas lutter contre la pauvreté ? ») ou un idiot (« vous faites erreur en croyant être contre alors que vous êtes pour ! »).

Dotation Inconditionnelle d’Humiliation

Le pire dans le revenu inconditionnel est à rechercher dans les rangs de certains écolos, lesquels souhaitent – via une « Dotation Inconditionnelle d’Autonomie » – payer un revenu de base en partie en nature : accès gratuit à l’eau, au chauffage, au transport, etc. Alors les « pauvres » n’auront même plus le choix ! Que certains puissent préférer acheter des livres et se passer de chauffage par exemple ne semble pas effleurer ces bons esprits conviviaux et égalitaires qui choisissent à leur place. Avec ces écolos-là, l’humiliation est complète.

Ariès en roue libre

« revenu universel […] salaire socialisé, dividende social, peu importe finalement le terme. L’essentiel c’est […] qu’il ne s’agit pas d’être moins disant socialement (sic) mais mieux disant… » Paul Ariès (Préface de Manifeste pour une DIA, Utopia, 2013) Deux phrases, trois âneries ! 1) Utiliser les mots « salaire » et « dividende » n’est certainement pas sans importance. 2) Précisément, le revenu universel est l’ennemi du salaire socialisé. 3) Il est vachement « mieux disant socialement » puisqu’il ambitionne de casser la sécurité sociale ! Mon Dieu, gardez moi des mes amis…

le revenu de base valse avec ATTAC

Les partisans « anti capitalistes » sincères du revenu de base sont les victimes du virus dit de « l’effondrement intellectuel » dont la souche originelle a pu être localisée au sein de l’association ATTAC au milieu des années 1990. Rappelons que cette association aujourd’hui heureusement groupusculaire défendait une taxe sur des transactions financières afin de lutter à la fois contre la spéculation et financer le « développement économique ». C’était évidemment complètement idiot : soit la taxe réduisait la spéculation et elle ne rapportait rien du tout ; soit elle rapportait du pognon et elle ne luttait en rien contre la spéculation. Le revenu de base repose sur la même contradiction. Soit il peut être financé et pour cela il faut que les institutions du capitalisme fonctionnent à plein régime ; soit il les subvertit et il ne peut plus être financé puisque son assiette fiscale fond comme neige au soleil ! On arrête les bêtises et on réfléchit ?

1Ou revenu universel ou minimum ou social garanti ou d’existence etc. A la différence des ressources naturelles de la planète, l’imagination rhétorique libérale est sans limite.

2Pour l’instant les animaux domestiques ne sont pas concernés. Scandale ! N’existent-ils pas eux aussi ? N’ont-ils pas des besoins socialisés (les croquette du chat) ? Vite un revenu de base pour les canaris et les hamsters ! (Je ne cite pas les chiens car Raoul Envélaut n’aime pas.)

3Dans la plupart des scénarios, le revenu de base ne se cumule qu’avec des revenus monétaires très faibles.

4Faut-il préciser que par « socialistes » j’entends les différents courants du mouvement salarial révolutionnaire (sociaux-démocrates, communistes et libertaires) et non le parti socialiste actuel ?

5En attendant le taux d’emploi n’a jamais été aussi élevé dans ce pays ! (Et donc, aussi, le taux d’exploitation.)

6J.E. Hyafil, Le Monde, 7 novembre 2014

7Pour le MFRB, la sécu c’est donc des « assurances collectives ». Ces gens très modernes se croient encore dans les années 1930 au temps des « assurances sociales » !