Autodestruction, effritement, honte, mort, liquidation, en danger, à sauver, corrompue, attaquée, malade… les qualificatifs ne manquent pas pour qualifier le présent de la « démocratie française ». Une rupture de situation soudaine, une chute inattendue, un mauvais virus, en quelque sorte. Il y aurait eu un « avant » ces jours-ci, ceux qui précèdent la présidentielle à venir, où ce mot, « démocratie », avait du sens, où « on » se sentait propre, digne, loyal, juste, équitable… Le ver n’aurait donc jamais été dans le fruit, la maladie non auto-immune ni génétique.
Il est vrai que cette démocratie aujourd’hui livrée en pâture est un direct héritage de la Révolution. Celle des citoyens contre les nobles. De la République contre la monarchie. Elle n’a pas moins gardé depuis lors les traits de l’aristocratie : masculine, hiérarchisée, hégémonique. Sa religiosité se manifeste par ses dogmes et institutions – dont les partis – auxquels il est demandé respect et fidélité, voire dévotion. Son bon fonctionnement est assuré par une élite, une « classe de chefs », une caste, plébiscitée par le « peuple » pour le « bien commun », incarnée par la bourgeoisie. En son sein, on compte ceux qui se défendent bien d’en être mais cautionnent le système en tant que techniciens patentés de « la politique ». Cette caste, convaincue de son bon droit, déléguée par une masse peu encline à diriger une nation, un État, se permet de façon totalement décomplexée et depuis des lustres, au choix, de taper dans la caisse, de détrôner des élus, de truquer des élections ou de les détourner, etc.
Car il y a bien une chose qui n’a pas changé depuis presque deux siècles et demi : une carte blanche a été donnée, à travers le mode de suffrage choisi, à une assemblée parlementaire et à un président de la république, et ce système est tellement ancré, que même chez les rebelles, il est à peine remis en cause. Il s’agit davantage d’élire son porte-parole, de désigner son leader, de prendre parti, parfois de faire le choix du moins pire, ou encore de choisir le pire par esprit de contestation, mais en aucun cas, de contredire l’oligarchie, de déconstruire le système représentatif, de prendre la parole, de la faire valoir. L’inhibition est si forte qu’elle pose question.
Les enseignements laissés par l’Histoire, ceux des collectivités anarchistes espagnoles, des conseils ouvriers russes, de la démocratie participative brésilienne, etc., sont délibérément occultés, oubliés. Pourtant ces possibles et les imaginaires qu’ils ont développés, ont démontré, dans leurs contextes respectifs, leur radicalité. Ils ont priorisé l’autonomie et le libre arbitre de chacun des individus au sein de collectifs. Ils ont privilégié la spontanéité, l’expression des singularités et la transparence. C’est sans doute ce « possible », cette puissance, ce pouvoir, qui rend les garants du système, et donc du capitalisme, hargneux et prêts à tout pour faire valoir, y compris dans la décadence, leurs prérogatives. Ils entendent ainsi exercer leur domination de classe, de race, de sexe, en contrepoint de ce pouvoir qui leur manque, leur fait défaut.
Les fascistes, autoritaires, fanatiques de tout bord, ont toujours manifesté cette déficience au grand jour, en brisant l’idée de liberté, en réclamant obéissance dans la violence, en réprimant, torturant, tuant, exterminant des populations entières. Ils ne représentent que le paravent de cette caste encore empêtrée dans ses bonnes manières.
Osons le dire. Les paravents et les murs qui se montent un peu partout, et ce qu’ils cachent, sont démontables. Il suffit de commencer le bricolage.
Joelle Palmieri, 1er février 2017
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